aux Delices 6 juillet [1755]
Monsieur de Bochat est bien heureux, il y a plaisir à être mort quand on a son tombeau couvert de vos fleurs.
J'ay lu mon cher monsieur avec un plaisir extrême cet éloge qui fait le vôtre. Vous trouvez donc que je suis trop poli avec ma patrie? il n'y avait pas moyen de reprocher des fers à des esclaves si gais qui dansent avec leurs chaines. J'ay mis le bonnet de la liberté sur ma tête, mais je l'ôte honnêtement à de jolis esclaves que j'aime. Eh bien mon cher philosophe, vous voulez donc aussi vous mêler d'être malade! et vous avez en accident ce que j'ay en habitude. Guérissez vite. Pour moy je ne guérirai jamais. Je suis né pour souffrir. Votre amitié et un peu de casse me soulagent. J'ay chez moy mr Bertrand de Berne et je m'en vante. Mr le banderet Freydenrik me parait un homme bien estimable, mais mes maladies ne me permettent pas de jouir de leur société autant que je le voudrais. Je ne sçai si j'aurai la force d'aller jusqu'à Berne, mais vous me donnerez celle d'aller à Monrion. On dit que ces douze chants dont vous m'avez parlé sont une rapsodie abominable. Ce n'est point là dieu mercy mon ouvrage, il est en vingt chants, et il y a vingt ans que j'avais oublié cette triste plaisanterie qui me fait aujourdui bien de la peine. Vale amice.
V.