19e auguste 1771
Mon cher ami, j’ai vu le descendant du brave Crillon qui est venu avec le prince de Salm, tout deux instruits et modestes, tout deux très aimables et dignes d’un meilleur siècle.
Quel homme de lettres donnerez vous pour successeur à un prince du sang? Il se présente beaucoup de poêtes. Ne faut-il pas donner la préférence à Mr De Laharpe ou à Mr De L’Ile?
Vous savez ce que c’est qu’un Banneret qu’à Berne on appelle Banderet. Or le banderet de la république de Neufchatel aiant joint à sa dignité celle d’imprimeur, fesait une très belle édition du Sistème de la nature. Les dévotes de Neufchatel, éprises d’une sainte rage sont venues brûler son édition. Le gonfalonier de la République a été obligé de se démettre de sa charge; mais on ne lui a point fait d’autre mal; il n’en aurait pas été quitte à aussi bon marché dans Abbeville.
On a battu des mains à Bezançon quand l’ancien parlement a été cassé et qu’on en a érigé un nouveau.
On a déjà six volumes de l’enciclopédie d’Yverdon; personne ne la lit, mais on l’achête. Je doute fort que celle de Genêve entre de sitôt à Paris. Nous revenons au tems où l’on agitait la question de Matématicis ab urbe expellendis.
Je suis tout étonné moi malingre et aveugle de vous dire des nouvelles du fond de ma solitude et de mon lit.
J’ai donné des paperasses pour vous à Mr De Crillon.
Adieu, mon cher et grand philosophe que j’aimerai jusqu’au dernier moment de ma vie.
V.