A Ferney, 21 auguste [1771]
Sire,
Votre Majesté va rire de ma requête: elle dira que je radote.
Je lui demande une place de conseiller d’état. (Ce n’est pas pour moi, comme vous le croyez bien, et je ne donne point de conseil aux rois, excepté peut-être à l’empereur de la Chine). Je m’imagine d’ailleurs que m. de Lentulus appuiera ma requête. C’est pour un banneret ou banderet de votre principauté de Neuchâtel, nommé Ostervald, qui est persécuté par les prêtres. Il a servi longtems votre majesté, et je crois qu’il est excommunié.
Voilà deux puissantes raisons, à mon gré, pour le faire conseiller d’état. Cet homme est d’un esprit très doux, très conciliant et très sage, et en même temps d’une philosophie intrépide, capable de rendre service à la raison et à vous, et également attaché à l’un et à l’autre. Il est de votre siècle; et les Neuchâtelois sont encore du treisième ou du quatorzième. Ce n’est pas assez que la prêtraille de ce pays là ait condamné Petitpierre pour n’avoir pas cru l’enfer éternel, ils ont condamné le banderet Ostervald pour n’avoir point cru d’enfer du tout. Ces marauds là ne savent pas que c’était l’opinion de Cicéron et de César. Vous qui avez l’éloquence de l’un, et qui vous battez comme l’autre, ne pourriez vous point mortifier la huaille sacerdotale en réhabilitant votre banderet par une belle place de conseiller d’état dans Neuchâtel?
Le grand Julien, mon autre héros, lui aurait accordé cette grâce, sur ma parole.
Je vous demande pardon de ma témérité; mais puisque ce banderet Ostervald est menacé par le consistoire d’être damné dans l’autre monde, ne peut on pas demander pour lui quelque agrément dans celui ci? Cette idée m’est venue dans la tête, et je la mets à vos pieds. Je pense que ce banderet a très grande raison de dire qu’il n’y a plus d’enfer, puisque Jesus Christ a racheté tous nos péchés.
On dit que mes chers Russes ont été battus par les Turcs; j’en suis au désespoir, et je supplie votre majesté de daigner me consoler.