1767-07-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Cosimo Alessandro Collini.

Il est vrai, mon cher ami, que j'ai eu la faiblesse de jouer un rôle de vieillard dans la Tragédie des Scythes; mais je l'ai tellement joué d'après nature que je n'ai pu l'achever.
J'ai été obligé d'en sauter près de la moitié, et encor ai-je été malade de l'effort. Vous savez que j'ai soixante et quatorze ans, et que ma constitution est bien faible. Il y a aujourd'hui quatre années révolues que je ne suis sorti de l'hermitage que j'ai bâti. Mon cœur est à Schwetzingen, mais mon corps n'attend qu'un petit tombeau fort modeste que je me suis élevé auprès d'une petite église de ma façon. Hélas! comment oserais-je me présenter devant Leurs Altesses Electorales, aiant prèsque perdu la vue, et n'entendant que très difficilement? Il faut savoir subir sa destinée. Nous avons à Ferney d'éxcellents acteurs, leurs talents me consolent quelquefois dans ma décrépitude. Le climat est dur, mais la situation est charmante. J'achêve ma vie doucement entre ma nièce et mlle Corneille que j'ai mariée, et quelques amis qui viennent partager ma retraitte. Mais rien ne me dédommage de Schwetzingen. Je me ferais un plaisir bien vif de vous voir à Manheim dans le sein de vôtre famille. J'embrasse de loin madame vôtre femme et vos enfans; je m'intéresserai à vôtre bonheur jusqu'au dernier moment de ma vie.

Mettez moi, je vous en prie, aux pieds de Leurs Altesses. Plaignez moi, et que vôtre amitié soit toujours ma consolation.

V.