1765-05-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Cosimo Alessandro Collini.

Mon cher ami, que son altesse Electorale me dise, prends ton lit et marche, et alors je vole à Schwetzingen.
Il y a plus de huit mois que je ne suis sorti de ma chambre, je meurs en détail, et nous ne sommes plus au temps des miracles. Je sais bien qu'il y a des gens qui ont encor de la force à soixante et douze ans, les patriarches étaient des enfans à cet âge; et même le révérend père Malagrida s'amusait tout seul dans son lit à 75 ans, à ce que dit la sainte inquisition, qui l'a fait brûler comme un porc; je n'en demande pas tant à Dieu, je sais me borner dans mes désirs, et je vous jure que je ne lui demande un peu de santé que pour venir sur les bords du Rhin.

Ceux qui ont dit que je quittais mon petit château de Ferney ont été bien mal informés. Il est vrai que je me suis défait des Délices, mais c'est que je ne me suis pas trouvé assez riche pour les garder, et que l'état de ma santé qui éxige la retraitte la plus profonde, était incompatible avec l'affluence de monde que m'attirait le voisinage de Genêve. J'ai jugé d'ailleurs que n'aiant qu'un corps je ne devais pas avoir deux maisons. Qu'il serait doux pour moi, mon cher ami, de passer quelques uns de mes derniers jours auprès d'un prince tel que Monseigneur l'Electeur! quel plaisir j'aurais après lui avoir fait ma cour, de m'enfermer dans ma chambre avec quelques volumes de sa belle bibliothèque! dans quel triste état que je sois je ne veux pas désespérer de ma destinée, je me flatte toujours de la plus douce de mes espérances Mettez moi à ses pieds, aimez moi, et soiez bien sûr que je ne vous oublierai jamais.

J'ay été bien mal après ma Lettre.