1758-06-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg.

Vous avez dû madame avoir M. le prince de Soubize, qui probablement a passé par Strasbourg pour aller prendre sa revanche.
Mr le comte de Clermont joue peutêtre sa première partie au moment que je vous écris. En attendant nous payons les cartes. Permettez moy de vous demander où est Monsieur votre fils pendant touttes ces avantures? ne sert il pas toujours? n'a t'il pas été de son lit de mariage à son lit de camp? est il dans l'armée de Hanau? est il dans l'armée du Rhin? Je fais toujours des vœux pour sa conservation, pour son avancement, et pour la tranquilité de votre vie.

J'ay été sur le point madame de venir vous faire une visite. Je promets tous les ans à Mgr L'Electeur palatin de luy aller faire ma cour. Je viendrais vous demander un lit et jouir de la consolation de causer avec vous si je pouvais faire le voiage, mais ma mauvaise santé, et ma famille que j'ay auprès de moy, me retiennent. Daignez au moins m'apprendre quelque bonne nouvelle des bords de votre Rhin. Ce fleuve devrait rouler du sang depuis qu'on fait la guerre dans son voisinage. Notre lac de Geneve est plus tranquille. On n'y extermine que des truittes qui pèsent trente livres; et on y est presque dégoûté de la félicité paisible qu'on y goûte. Nous sommes trop heureux; et les allemans et les français sont trop à plaindre. Vous n'avez vu dans votre vie que des malheurs. Vivez heureuse au milieu de tant de désolations s'il est possible. Pourquoy donc votre pauvre neveu a t'il choisi le voisinage de Lyon pour sa maison de campagne? Que de misères générales et particulières dans ce monde! Consolez vous avec votre très aimable chanoinesse, et conservez vos bontez pour les hermites du lac.

V.