à Lausanne 27 décembre [1757]
Je vous souhaitte une bonne et tranquille année mon cher philosophe, car rien de bon sans tranquilité.
J'épargne une lettre inutile à M. le banneret et à madame, mais je m'adresse à vous pour leur présenter mes tendres respects, et mes vœux bien sincères pour leur conservation et pour leur félicité dont ils sont si dignes. Ma nièce se joint à moy, et partage tout mon attachement. Que nous serions flattez s'ils pouvaient honorer de leur présence ce séjour tranquille, cette petite retraitte de Lausane que nous avons ornée dans l'espérance de les y recevoir un jour avec vous! Iste angulus mihi semper ridet. Je ne crois pas que j'aille jamais ailleurs malgré les sollicitations qu'on me fait. Quand on est aussi agréablement établi il ne faut pas changer. Patria ubi bene, doit être ma devise.
J'ay lu enfin l'article Geneve de l'enciclopédie qui fait tant de bruit.
Je trouve seulement les genevois très heureux de n'avoir que de ces petites querelles paisibles tandis qu'on s'égorge depuis le lac des puants, jusqu'à L'Oder, et qu'on teint de sang la terre et les mers.
Il faut que ceux qui sont destinez à prêcher la paix soient au moins pacifiques. Le grand mal, messieurs, qu'on vous accuse un peu de variation! Eh qui n'a pas varié? Le premier siècle ressemble t'il au quatrième? et mylord Pierre n'a t'il pas couvert de rubans et de franges l'habitb uni qu'il avait reçu d'un père très uni? Les dogmes ne se sont ils pas accumulez d'âge en âge? On dit que vous revenez à la simplicité des 1ers temps, que vous abandonnez l'architecture gotique chargée de vains ornements pour la noble architecture des Grecs. Vous fait on si grand tort?
Mr Dalembert à ce que vous dites, serait très fâché que des inquisiteurs le louassent d'être tout prest à faire brûler des hérétiques. Sans doute, il recevrait fort mal ce bel éloge, qu'il n'a jamais mérité. Mais en est il de même de ceux qu'il loue de vouloir embrasser la simplicité des premiers temps? Il ne dit que ce qu'il leur a entendu dire vingt fois. Il révèle leur secret, je l'avoüe, mais ce secret est celui de la comédie, rien n'est plus public parmy vous autres que ce secret. S'ils désavouent leurs sentiments, ils se feront peu d'honneur, s'ils les publient, ils s'attireront des disputes. Que faut il donc faire? Rien, se taire, vivre en paix, et manger son pain à l'ombre de son figuier, laisser aller le monde comme il va, recommander la morale et la bienfaisance, et regarder tous les hommes comme nos frères. C'est ce que je leur souhaitte. Je vous embrasse tendrement mon cher téologien humain et philosofe.
V.