1757-12-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacob Vernes.

Oui je vous tiens mon ami, et tout jeune que vous êtes je vous fais mon prêtre.
Je signe votre profession de foy, à condition que ny vous, ny votre aimable arabe vous n'y changerez jamais rien, et que vous ne mettrez jamais comme mylord Pierre ny nœud d'épaule ny rubans sur votre bel habit uni. Ayez la bonté de me garder les grands hommes lyonais jusqu'à mon retour. Luc, le grand homme du jour, m'a fait faire des compliments et va peutêtre donner une nouvelle bataille pour ses étrennes. Il est vrai qu'il a fait conduire à Spandau (Bastille prusienne) le téologien de Prades qu'il a soupçonné d'avoir eu quelque commerce avec la pauvre reine de Pologne. Je ne sçais si Prade l'a confessée et communiée. Mais avouéz que c'est une singulière destinée pour un gentilhome bourdelais d'être excomunié à Paris, chanoine en Silesie, et prisonier à Spandau. Que ne venait il sur les bords de mon lac? Il aurait signé votre catéchèse, et aurait vécu paisiblement.

Or ça carissimé frater in deo et in Servetto, êtes vous bien fâché dans le fonds du cœur qu'on dise dans l'enciclopédie que vous pensez comme Origene, et comme deux mille prêtres qui signèrent leur protestation contre le pétulant Atanase? Le bon homme Abausi ne rit il pas dans sa barbe? Vous voylà bien malades que quelque gros hollandais vous traitte d'étérodoxe? Serez vous bien lezez quand on vous reprochera d'être des infâmes, des monstres qui croient un seul dieu plein de miséricorde? Allez allez vous n'êtes pas si fâchez. Soyez comme Dorine qui aimait Licas. Comme vous devez le savoir, Licas s'en vanta, et Dorinne qui en fut bien aise, dit:

Licas est peu discret
D'avoir dit mon secret.

Dalembert est Licas, vous autres êtes Dorinne et moy je suis à vous très tendrement.

V.

Au reste si quelque ortodoxe ou étérodoxe m'accusait d'avoir la moindre part à l'article Geneve je vous supplie instament de rendre gloire à la vérité. J'ay appris le dernier toutte cette affaire. Je ne veux que le repos, et je le souhaitte à tous mes confrères, moines, curez, ministres, séculiers, réguliers, trinitaires, unitaires, quaquers, moraves, turcs, juifs, chinois, hurons, etc. etc.