Berlin, 5 janvier 1753
Mr de Maupertuis envoya il y a environ deux mois à Paris, par le courrier du cabinet, un ouvrage de ténèbres imprimé en Hollande dont il y avait plusieurs exemplaires à Berlin.
C'est le Tombeau de la Sorbonne, libelle scandaleux, fait par des réfugiés échauffés, tandis que l'abbé de Prades était dans les Pays Bas, et précisément dans le temps que Mr de Maupertuis venait de soulever contre lui toute la Hollande, pour avoir si injustement persécuté un professeur de ce pays là qui est bibliothécaire de madame la princesse d'Orange. Mr de Maupertuis est nommé dans cet ouvrage intitulé le Tombeau de la Sorbonne, parmi les persécuteurs qui employent l'autorité au lieu de la raison. Cela n'est pas étonnant, mais ce qui l'est beaucoup, c'est qu'il a écrit à Mr de la Condamine et à d'autres, que c'est moi qui ai fait ce misérable ouvrage avec l'abbé de Prades. Il est aisé de détruire l'imposture de Mr de Maupertuis qui ne réussira pas plus dans sa calomnie qu'il n'a réussi dans son dernier ouvrage, où il prétend qu'on peut voir l'avenir comme le passé, connaître l'âme par le moyen de l'opium, et faire vivre les hommes neuf cents ans en les conservant comme des œufs. Ses extravagances sont dignes de ses impostures; mais comme je ne lui ressemble pas, et que j'aime à donner des raisons au lieu de commander, voici des preuves sans réplique:
- 1e Le malheureux Tombeau de la Sorbonne, qui n'empêche pas qu'elle ne soit très vivante, était imprimé avant que je connusse l'abbé de Prades.
- 2e J'ai vécu dans un monde si différent du monde théologien, que je ne connais pas un seul des personnages qu'on fait figurer dans cette pièce, et que je n'ai jamais entendu prononcer leurs noms.
- 3e e libelle est si grossier et si mal écrit que je n'ai pu en achever la lecture. J'y ai vu des phrases d'écolier, et d'un écolier qui ne sait pas le français. C'est toute l'idée que j'en ai, et je tiens qu'il faut être insensé pour m'attribuer une telle production.
- 4e Mr l'abbé de Prades qui écrit très bien ne peut pas plus avoir fait cet ouvrage que moi.
- 5e Il m'a dit que la plupart des faits sont faux; qu'ils sont pris des gazettes ecclésiastiques; or si j'avais eu part à cet ouvrage, l'abbé de Prade me l'aurait donc dicté, et s'il me l'avait dicté il m'aurait dit les faits. Il prétend même que les noms ne conviennent point aux faits allégués. Je vous demande ce qu'on peut répliquer contre de telles preuves. Il n'y a que la fureur implacable de Mr de Maupertuis qui ait pu charger Mr l'abbé de Prade et moi d'une chose si odieuse. Mais encore une fois je ne crains pas qu'il réussisse à me perdre à la fois à Berlin et à Paris. Vous êtes dans le pays de Mrs les docteurs de Sorbonne. Je vous demande en grâce de réfuter la calomnie de mon persécuteur, et de m'écrire le succès de vos soins dont j'aurai une reconnaissance aussi tendre &c.
Vous savez peut-être que les tyrannies de Mr de Maupertuis m'avaient forcé de mettre aux pieds du roi de Prusse ma clé, ma croix et mes pensions et que ce monarque plein d'humanité a daigné me les renvoyer avec une lettre aussi remplie de bonté que de sagesse. Je lui serai attaché toute ma vie en quelque pays que j'achève ma vie.