[January 1753]
Si vous n'êtes pas docteur Monsieur, vous êtes docte, et vous connaissez des docteurs.
Vous me connaissez aussi moi qui ne suis ni l'un ni l'autre. Vous avez de l'amitié pour moi depuis longtems et je me flatte que vous aurez la bonté de détruire la calomnie de mon persécuteur Maupertuis. Il a eu la cruauté d'envoier à Paris une cinquantaine d'Exemplaires du tombeau de la Sorbonne, et de m'attribuer cet indigne ouvrage en société avec mr l'Abbé de Prades.
Vous remarquerez que ce libelle était déjà publié en Hollande avec cent autres avant que mr l'Abbé de Prades fût parmi nous et que je le connusse. Mais Maupertui a voulu me perdre à la fois à Paris et à Berlin, il a cru qu'on écouterait son imposture parce que son nom se trouve à la fin de cet ouvrage parmi les persécuteurs des gens de lettres. Il n'a pas songé qu'aiant publiquement outragé d'une manière inouïe un professeur de la Haie, un Conseiller de madame la princesse d'Orange, il avait soulevé contre lui toutte la Hollande, et qu'il est bien naturel que des réfugiez qui avaient pris le parti de mr Kœnig, aient nommé Maupertui parmi les hommes odieux qui veulent écraser par l'autorité les raisons de leurs adversaires. D'ailleurs comment a t'il pu penser qu'on m'attribuerait un ouvrage aussi plat et aussi grossier, un libelle qui roule sur des choses et sur des personages dont je n'avais jamais entendu parler? Il y a plus de trente personnes nommées dans cet écrit, et je n'en connais pas une.
Il faudrait que j'eusse eu une révélation, ou que mr l'abbé de Prades eût fait cet ouvrage avec moi, or je vous prie, s'il me l'avait dicté, la plupart des faits seraient ils faux comme il prétend qu'ils le sont? Es ce là le stile de mr l'Abbé de Prades, es ce le mien? n'est il pas évident que cela a été composé sur les mémoires des nouvelles ecclésiastiques par des correcteurs d'imprimerie d'Amsterdam pour gagner quelques florins? J'ai vu des impostures bien ridicules en ma vie, je n'en ai jamais vu de si peu vraisemblable.
Mais ne vous étonnez de rien; celui qui a fait condamner mr Kœnig comme faussaire, et qui s'est couvert de honte par ses manœuvres tiranniques devant toutte l'Europe littéraire, celui qui me persécute d'une manière si odieuse, qui soulève tout contre moi, celui qui a juré ma perte était seul capable d'une calomnie si atroce. Charlatan de Philosophie, intrigant persécuteur; voilà ce que c'est que Maupertui, et il est connu pour tel par tous les gens de lettres, il a compromis indignement le Roi de Prusse dans l'affaire de Koenig et dans la mienne. Il a envoyé partout la lettre apologétique où il est tant loué et où ses adversaires sont si mal traitez, il l'a envoyée sous le titre de lettre du Roi de Prusse, il l'a fait vendre sous ce titre dans Berlin, il a attiré des réponses sanglantes de touttes les universitez d'Allemagne, et il fait répandre ses calomnies dans Paris, il a sonné le Tocsin dans l'Europe pour quatre lignes de Leibnits mal entendues, et son amour propre féroce voudrait bouleverser la terre pour être loué. Pour moi mr je me borne à être connu et aimé de vous. Je vous supplie de me rendre auprès de tous vos amis la justice qui m'est due. J'en conserverai la reconnaissance la plus chère.
V.
Je vous suplie de ne point faire courir de copie, mais de faire usage de cette lettre avec votre prudence et votre amitié.