à Berlin ce 13 janvier
Monsieur,
Monsieur l'abbé de Prades vous adressa il y a deux mois et plus, un paquet en toile cirée dont vous eûtes la bonté de vouloir bien vous charger pour le faire parvenir à monsieur de la Reiniere, fermier général des postes de France. Ce paquet venait de moy, et monsieur l'abbé de Prade me fit le plaisir de vous Le confier comme à un homme sur les bontez du quel il compte toujours. Vous avez eu l'attention de luy écrire que le paquet était arrivé, que vous luy rendriez le bon office de L'envoyer à m. de la Reiniere soit par le courier ordinaire, soit par un autre courier que vous deviez dépêcher à madame de Pompadour en luy envoyant des ananas. Permettez moy monsieur de joindre mes remerciements à ceux de mr l'abbé de Prades. Ce paquet est pour madame de Pompadour elle même. S'il n'est pas encor party, vous me feriez un extrême plaisir de L'envoyer à monsieur le marquis de Bonac qui sans doute aura des occasions de le faire tenir à mr de la Reiniere pour être remis à madame de Pompadour. Je vous supplie instamment monsieur de vouloir bien avoir la bonté de m'instruire de la destinée de ce petit ballot, et de pardonner à mon importunité. Je profite de cette occasion pour vous demander une autre grâce, c'est d'engager mr Elie Luzac à ne rien imprimer dans les circomstances funestes où je suis, qui puisse me regarder le moins du monde. Je vous donne ma parole de Le dédommager amplement en luy faisant tenir dans peu de temps un ouvrage considérable qui ne fera tort ny à luy ny à moy ny à personne. Si même il voulait s'arranger pour faire avant ma mort une édition complette et exacte de mes œuvres, n'y en ayant aucune de tolérable, non seulement je luy fournirais les matériaux mais je luy avancerais avec plaisir sans aucun intérest l'argent qui luy serait nécessaire. J'ay l'honneur d'être monsieur avec reconnaissance
Votre très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire