à Leipzik 4 avril [1753]
Ma chère enfant, j'ay eu la fièvre encor.
Je ne sçai pas quand je partirai. J'attends amplement de vos nouvelles et des miennes. Je vous enverray un énorme paquet par la poste, samedy prochain, à l'adresse de M. de la Reiniere. Donnez habilement à Lambert les deux lettres au public. On les a imprimées à Berlin sous ce titre de main de maître. C'est un titre qui est fort agréable à l'autheur. Ericart, st Romain, Dauneuil seront fort aises de voir à quel point des ouvrages si agréables et si décents réussissent. C'est une chose assez importante de faire connaitre le mérite d'un autheur à qui on a afaire. Corbi pourait encor se charger de cette besogne. Je vous en prie ne négligez pas cette bonne œuvre.
Ne me déguisez rien de ma situation. Je sens bien quel avantage on peut tirer de ma déconvenue, contre moy. Mais il y a quarante ans que je fais la guerre, et je suis tout acoutumé aux campagnes malheureuses. On peut faire de belles retraittes, et même remporter encore quelques victoires. Je n'ay pas été abatu un seul moment, et mon âme a été ferme malgré la faiblesse de mon corps. J'ay pris mon party surtout, et le party le plus invariable est de vous aimer toutte ma vie. J'attendray ici votre lettre, et j'espère qu'elle fera un volume. Vous me manderez s'il est vray que melle Barios ait essuyé un orage et ait eu une rivale, à quel point je peux compter sur Fremont, d'Auneuil. Ne manquez pas je vous en conjure de faire mes tendres compliments à l'ange et à vos amis. Bonjour ma très chère enfant, je me meurs d'envie de vous voir. Mais que deviendrai-je? Ecrivez toujours et très hardiment à mr du Mont, banquier à Leipzik.