1752-01-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes.

Ce n'est pas seulement à madame Denis, c'est à vous monsieur que j'adresse ce paquet, c'est en qualité de bon français, et d'homme qui veut mériter votre estime que je soumets cet ouvrage à vos lumières, et que je le recommande à vos bontez. Je ne peux arrêter en Allemagne le torrent qui m'entraîne. Tout ce que j'ay pu faire c'est de mettre quelques cartons. Mais c'est icy en quelque façon un ouvrage nouvau par le grand nombre de changements que vous verrez d'un coup d'œil si vos occupations vous le permettent. Ils sont tous dictez par l'amour de la vérité et de la patrie. Si malgré tous les soins que j'ay pris et après tant d'histoires dans les quelles on a voulu flétrir Louis 14 et la nation, un ouvrage consacré à la gloire de l'un et de l'autre ne peut trouver grâce devant mes compatriotes, j'attendray du temps la justice qu'on n'obtient guères que de luy, et votre suffrage me tiendra lieu de la faveur de la plus part des hommes. J'aurais été plus digne de ce suffrage si j'avais pu achever le siècle de Louis 14 dans ma patrie, et si j'avais eu un peu de santé. Mais les persécutions des gens de lettres m'ont privé de l'une, et il y a longtemps que la nature m'a ravi l'autre. Mais les bontez d'un homme comme vous sont une grande consolation.

Je vous suplie monsieur de vouloir bien remettre cet exemplaire à ma nièce, quand vous aurez eu le temps de le parcourir. Je vous demande très humblement pardon de tant d'importunité. Vous êtes acoutumé à celles des barbouilleurs de papier comme moy. Ils disent pour leur excuse, que c'est envie de vous plaire. Je n'ay pas de meilleure excuse qu'eux. Je vous prie monsieur de recevoir avec vos bontez ordinaires mes libertez et mon respectueux attachement.

V.

Je me flatte que Monsieur de la Reiniere aura entièrement recouvré sa santé.