ce 26 [March 1739]
Je suis pénétré de vos bontez mademoiselle.
Eh bien connaissez moy donc. Vous croyez que Le poison dont mes ennemis répandent des tonnaux sur moy est un poison froid qui glace mon faible génie. Non; il l'échauffe, et je me ranime par leur rage. Zulime a été faite au milieu des mouvements où ils m'ont forcé, et à travers cent lettres à écrire par semaine. La douleur d'être acablé par ceux qui devoient me deffendre, s'est tournée en sentimens tragiques et Les conseils de monsieur d'Argental joints aux vôtres m'ont fait naitre l'envie de donner une tragédie intéressante pour me vanger. Le secret n'a point transpiré, et j'attends tous les jours vos leçons. Vous craignez mademoiselle que je n'aye pas l'esprit assez libre pour corriger Zulime! Sachez que j'ay été si impatienté de ne point recevoir vos critiques que j'ay commencé une autre tragédie dans l'intervalle. Sachez qu'il y a quatre actes d'ébauchez. Vous serez terriblement étonnée du sujet. En un mot je suis dans vos fers, jouissez de votre victoire, et accablez moy si vous voulez. Mais aprenez que vous l'avez emporté sur les Bernouilli, les Maupertuis, et les plus grands géomètres de L'Europe qui viennent de partir de Cirey. J'ay fait des vers à leur nez, et j'ay chaussé le cothurne en dépit des machines de l'abbé Nolet qui remplissent ma galerie. Connaissez donc un peu la vie de votre esclave: ou je souffre, ou j'étudie, et quand mes maladies me persécutent au point de m'empêcher de lire, j'ay la ressource des vers. Tous mes moments sont consacrez au travail. Est il juste qu'une telle vie soit si cruellement persécutée? Vous me parlez des grimauds qui écrivent contre mes ouvrages. J'ay toujours ignoré les siflements de ces petits serpens cachez sous terre, mais je me plains des monstres qui veulent flétrir mes mœurs, et des magistrats qui laissent ces horreurs impunies. Je n'ay jamais répondu à une critique, mais en vérité j'ay l'amour propre de croire que je méritois d'être un peu autrement traitté dans ma patrie. Je vous assure mademoiselle que vous me consolez bien de tant de chagrins. Si on me proposoit de perdre à la fois mes ennemis et votre suffrage, je n'accepterois pas le marché.
Pour que je puisse mériter ce suffrage, dites moy donc ce que vous trouvez à refaire à Zulime. J'ay me semble obéi à une partie de vos ordres, mais ne vous rebutez point d'en donner, je ne me lasseray point de les suivre. Madame Duch. vous fait ses compliments. J'auray l'honneur de vous envoyer un Ramire, et vous nous donnerez la merveille des chiens que vous promettez. Adieu mademoiselle, vous connaissez mon tendre et sincère attachement pour vous, je vous aime autant que je vous estime.
Ma foy ce grand de Gouve doit se faire comédien. Débauchez moy ce grand drôle là, il ne déclame pas mal, vous me le dégourdirez…. Il a été jésuitte.