1739-07-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Françoise Quinault.

On m'a aporté de Paris mademoiselle L'arrest prononcé tout au long dans votre cour; je l'ai trouvé d'un juge non moins éclairé que sévère, et quoy que je commence à être d'un âge où L'amour propre devient un peu rétif, j'ay lu l'arrest avec docilité.
Suspendez pour un moment je vous prie l'attention que vous donnez peutêtre àprésent à trois ou quatre pièces nouvelles, et écoutez moy.

La première chose que j'ay faite c'est de relire la pièce que baucoup d'autres occupations avoient presque effacez de ma mémoire. J'ai éprouvé précisément le même sentiment sur le quel est fondée la critique, j'ay été attendri par les trois premiers actes, embarassé à la fin du troisième, et révolté des deux autres.

Mais je suis très loin de croire qu'il soit impossible de tirer parti de ce sujet. Je pense au contraire qu'il est très aisé de rendre les derniers actes aussi intéressants que les premiers; je vais au moins le tenter; et si je réussis ce sera à vous et à votre amy que j'en aurai l'obligation. Je m'étois tellement refroidi sur cet ouvrage fait avec précipitation, que j'avois besoin des coups d'Eguillon que vous venez de me donner. Je vous avoue que la multitude des occupations que je me suis faitte est très capable de m'égarer. Il faut donner son âme tout entière à une tragédie, il faut le plus profond receuillement, l'entousiasme le plus vif, et la patience la plus docile. Encouragez moy donc pour suppléer à ce qui me manque. Vous savez que je ne veux que le bien de la chose. Je m'intéresse à Zulime, non par ce qu'elle est de moy, mais par ce qu'elle est tragédie. La phisique et l'histoire peuvent me rendre un mauvais poète, mais j'aimerai toujours les vers. Souvenez vous donc de Zulime quand vous n'aurez rien de prest.

J'ay peutêtre encor dans mon portefeuille de quoy exercer la supériorité de votre critique, en un mot je suis à vous en coturne et en brodequin.

Que dites vous du goust de Compiegne? On a joué l'héritier ridicule devant le roy! c'est M. le Duc de Richelieu qui l'avoit demandé.

Je lis actuellement le siège de Calais, j'y trouve un stile pur et naturel que je cherchois depuis longtemps.

On vient de faire en Hollande une magnifique édition de mes sottises, j'auray l'honneur de vous la présenter. Touttes mes pièces sont corrigées. Vous trouverez dans Œdipe:

Entre un pontife et vous je ne balance pas,
Un prêtre quel qu'il soit, quelque dieu qui l'inspire
Doit prier pour son prince, et jamais le maudire. etc.

Je vous suplieray bien un jour de faire jouer mes pièces selon la nouvelle leçon.

Voulez vous bien assurer monsieur de Pondevel de la tendre et respectueuse estime que j'auray pour luy toute ma vie? C'est avec les mêmes sentiments mademoiselle que je vous suis attaché.

V.

Me Duch. vous embrasse, et vous regarde comme la personne de France qui a le plus de goust.