ce 18 mars [1737]
Mon cher abbé, Monsieur le marquis du Chastelet vous rendra ou vous fera remettre cellecy.
J'ay de très fortes raisons pour vous réitérer encor la prière de ne parler de mes affaires à personne, et surtout de dire que je suis en Angleterre.
J'ay encor quelques contracts que Mr le m. du Chastelet vous remettra. Il y en a sur Mr de Leseau, de Rouen, sur mr le prince de Guise, sur Mr de Goebriant, sur Mr le marquis d'Estain. Vous aurez donc la bonté mon cher amy de joindre tout cela au reste de mes affaires.
Il y a trois ans que Mr de Leseau ne m'a payé. Il est riche, il a des terres. Mr de Goesbriant commence à être à son aise. Il me doit cinq ans, il peut me satisfaire. On luy a déjà fait une sommation, uniquement pour empêcher la prescription. Le prince de Guise me doit trois ans, sur quoy il n'a payé que 1336lt.
Mr de Villars me doit une année au premier janvier dernier.
Mr Dauneuil de même.
Mr Destain de même, mais je croi que Mr Destain vient de payer à un de mes créanciers.
Mr de Richelieu doit une année au ier avril prochain.
Arouet a payé l'année 1736.
On me doit ma rente viagère de 1736 échue en janvier dernier, mais il faut un certificat, et je ne vous l'enverray pas sitôt.
Tout cecy bien établi, voicy ce que nous avons à faire. Je vous prie d'écrire une lettre circulaire sous le nom de votre frère à tous les créanciers, conçue à peu près en ces termes,
M r,
M r de Voltaire voiageant dans les pays étrangers a un besoin extrême de la rente que vous luy devez. Il espère de votre générosité et de votre amitié que vous voudrez bien le payer. J'attends vos ordres, etc.Moussinot, rue de la Lanterne derrière s t Mery.
Mr de Richelieu n'aura point part à cette sommation, l'année n'étant pas encor échue. Mais dès qu'elle le sera il faut écrire à son intendant, et établir un payement annuel, de janvier en janvier. Il faut luy proposer de payer les trois quartiers depuis avril 1736 jusqu'à janvier 1737, aux quels echet le dixième, afin que doresnavant, de compter du 1er janvier 1737 je sois payé sans retenue de dixième puisque ce Xème a été aboli au premier janvier 1737.
Après deux lettres écrittes à chaque créancier à un mois l'une de l'autre, il faudra faire des commandements aux fermiers des terres, sur les quelles mes rentes sont déléguées. Je vous en enverray la liste. Pour le reste de ma vie ce sera à ces fermiers que j'auray affaire, le tout [?avec] un mot d'excuse aux maitres de la part de mr Moussinot votre frère.
A L'égard de la grande affaire de Bouillé Ménard, j'attends de vos nouvelles, mais voicy quel est mon plan. Je suis dans une situation à avoir toujours besoin d'une somme considérable que je puisse trouver sous ma main. Ainsi il y auroit à moy baucoup d'imprudence à mettre dans le commerce de Pinga une partie forte qui seroit trop long temps à rentrer. Je vous prie même de n'y mettre que 4 ou 5 mille francs pour vous amuser, et surtout que cela soit, comme le reste dans un profond secret.
J'attends à Bar le duc des nouvelles à mr Dartigni
1º sur la valeur des ducats. J'en ay donné 320 à mr Duchastellet, avec quelque autre argent pour L'échanger contre des espèces nouvelles courantes. Il prendra sur cela votre avis, et celuy de mr Bronod.
2º sur mon pastel, et sur les copies.
3º sur l'envoy que doit faire Praut à Bar sur Aube pour made la marq. du Chast.
4º sur les envois que je vous ay priez de faire par Bar sur Aube à Cirey pour me Serrand avec une lettre d'avis à mr Dartignià Bar le duc.
5º sur la réponse que j'attends du père Castel, la quelle il doit vous adresser, car je supose que vous luy avez envoyé votre adresse.
6º sur les 18lt à donner au petit Darnaud a[vec deux] Henriades.
7º j'ajoute que je vous prie de m'envoier le mémoire des livres dépareillez que vous avez à moy; afin que je prenne le party, ou de vous envoyer les volumes qui vous manquent, ou de faire venir ceux qui vous restent.
8º je voudrais savoir des nouvelles du cours des actions.
9º votre agent de change peut vous informer de l'employ le plus sûr de l'argent. Je crois que les billets des fermiers généraux sont à 6 pour 100 et que c'est ce qu'il y a de meilleur, et qu'on peut retirer son fonds tous les 6 mois.
10º voulez vous bien à votre loisier m'envoyer un petit état de ce qui me reste d'effets? soit chez vous, soit chez Pinga ou ailleurs, afin que je sache de quoy je peux disposer.
Je m'aperçois que je vous donne plus d'embarras que tout le chapitre, mais aussi je ne serai pas si ingrat. Je vous embrasse. S'il y a quelques nouvelles écrivez toujours à Dartigni, négociant à Bar le Duc où j'attends vos lettres.
11º avez vous reçu des dividendes de mes actions?
ce 18
Je reçois dans le moment votre lettre du ii mars, et j'y répons.
1º pour les ducats, j'en trouve à Bar le duc dix livres io sous, ainsi je les donnerai à Bar le duc.
2º je consens et je vous prie que vous receviez tout ce que vous pourez sur Bouillé Menard en attendant le reste; car en fait d'argent il faut toujours recevoir. Vous donnerez votre quittance sans préjudice des intérêts échus et à échoir. Je vous suplie de ne mettre que quatre à cinq mille francs en tablaux, de mettre une partie de l'argent comptant en billets des fermes, ou équivalent, et de garder le reste pour acheter des actions qui je croi baisseront dans peu.
3º vous avez à moy quatre actions achetées à 3 dividendes. Mandez moy si vous avez reçu les dividendes des 6 premiers mois de cette année, et vendez sur le champ les quatre actions en cas qu'elles soient à peu près à 2140lt ou 30.
4º du prix de ces actions vendues, vous aurez le plaisir d'acheter pour 4000lt chez me de Verrue.
5º vous mettrez le restant des actions avec les 3690 de mrs de Villars et d'Auneuil que vous garderez.
6º vous aurez la bonté de donner 100 louis d'or à Mr le marquis du Chastelet qui me les raportera.
7º je ne sçais pas si mr le p. Dauneuil a payé les six mois antérieurs, mais cela est sûrement puisqu'il le dit. Au reste mr Menil doit le savoir positivement. Du Moulin doit le savoir aussi.
8º je suis très aise que Berger me croye en Angleterre. J'y suis pour tout le monde.
9º il faut absolument écrire une lettre à mr le marquis de Leseau, à Rouen et une autre à Mr le prince de Guise. Cela ne coûte rien, et avance les affaires.
10º voicy ma quittance pour mr votre frère de mes deux années de rente sur mrs de Villars et Dauneuil.
11º je vous suplie d'engager mademoiselle votre sœur à m'acheter 12 livres de poudre fine, et un pot de bonne pomade à la fleur d'orange.
12º Le paquet du père Castel courrera la pretentaine.
13º je vous aime de tout mon cœur.
14º j'ay encor à vous dire qu'il vous viendra des lettres à l'adresse de mr Dartigni chez mr du Breuil, négociant, cloître st Mery à Paris. Vous aurez la bonté de les envoyer à Bar le duc.
15º voicy 3 lettres que je vous prie de faire mettre à la poste.