1753-12-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Mon pied est bien en peine de votre cuisse ma très chère enfant.
Je suis bien malheureux de touttes les manières, et si je n'ay pas de vos nouvelles je suis mort. Esce que vous n'avez pas fait lire les lettres par les quelles je suppliais une des deux sœurs de m'instruire de votre état? Je ne demande pas que vous preniez la peine de m'écrire tous les ordinaires. C'est une consolation dont je dois être privé. Je la sacrifie au soin de votre santé. Mais que Pichon m'écrive du moins un mot, qu'on ait pitié de l'inquiétude mortelle qui me consume.

Si je ne craignais que ma lettre n'arrive peutêtre dans un temps où vous serez souffrante et languissante, je vous enverrais un petit mot pour le mercure au sujet de cette édition de l'histoire prétendue universelle. Je tremble toujours pour la pucelle. Mais je tremble encor plus pour votre santé. La fin de ma vie est détrempée d'amertumes bien difficiles à supporter. Je souhaitte la mort. Mais vivez heureuse. Je n'ay pas la force de vous en dire davantage. Faites moi écrire si vous voulez fortifier une âme abattue, et rendre la vie à un mou-rant. Je voudrais écrire à mr Dargental, à M. de Tibouville, mais je n'en ai pas la force, et le peu de vie qui me reste n'est consacré qu'à la vôtre.

V.

Si cette lettre vous trouve en meilleure santé je vous prie de me mander l'état de Paris. On dit que la douleur et la misère y règnent. Est il vray que Fremont est bien malade? est il vrai que me de Barios va se retirer?