1760-10-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Count Ivan Ivanovich Shuvalov.

Monsieur,

Je reçois par mr de Keizerling la lettre dont vous m'honorez du 10 septbre n. s. avec les mémoires sur le commerce et sur les campagnes en Perse.
Je n'ay point encor entendu parler de Mr Pulchin et du paquet qu'il devait me faire parvenir de la part de votre Excellence. J'ay toujours jugé qu'il s'arrêterait à Vienne pour le mariage de l'archiduc. Vous venez de donner une belle fête à ce prince, vos trouppes dans Berlin font un plus bel effet que tous les opera de Metastasio.

C'est moy monsieur qui suis inconsolable de n'avoir pu faire ma cour à monsieur votre neveu, jugez avec quels transports j'aurais reçu un homme de votre nom et digne d'en être. Je vois souvent monsieur de Soltikof, je vous assure qu'il mérite de plus en plus votre bienveillance.

Je réitère à votre Excellence l'avis que j'ay eu déjà l'honneur de luy donner que je luy dépechai il y a six semaines un ballot de quelques volumes de Pierre le grand par votre ambassadeur à la Haye. Je prends aujourdui, le party de vous en adresser un plus petit par Monsieur le duc de Choiseul qui voudra bien le dépécher par le premier courier qu'il enverra à votre cour. Il est bien dur d'être si loin de vous. J'ignore encor si un ballot envoyé il y a un an à l'adresse de M. de Keizerling à Vienne est parvenu à votre Excellence, j'ignore si elle a reçu un autre ballot envoyé par Hambourg. Celui là me tient moins au cœur, il ne contenait qu'une espèce d'eau des Barbades que je prenais la liberté de vous offrir.

Vous sentez monsieur que je ne peux bâtir la seconde aile de l'œdifice si je n'ay des matériaux, vous avez commencé, vous achèverez. On est content du premier volume, le libraire en a déjà débité cinq mille exemplaires. Pierre le grand et vous, vous faittes sa fortune; c'est votre destinée à tous les deux de faire du bien.

Mais comment pui-je continuer, si je n'ay pas le précis des négociations de ce grand homme, et la continuation du journal?

J'ajoute que j'ay besoin de quelques éclaircissements sur le csarovits. Je suis à vos ordres, et je vous réponds que je ne vous ferai pas attendre. Mais aidez moy, ne me réduisez pas à répéter les mauvaises histoires du sr Nesteranuzoi et de tant d'autres. Il n'est pas dans votre caractère d'abandonner une si noble entreprise. Je suis persuadé qu'elle doit plaire à la digne fille de Pierre le grand.

Disposez de votre secrétaire, de votre partisan le plus vif, de celuy qui sera toutte sa vie avec le plus tendre respect

votre très humble et très obéissant servitr

Voltaire

J'ay eu l'impudence de porter chez mr de Soltikof le portrait de votre secrétaire V.