Au château de Ferney par Genêve 10 Janvier 1761
Monsieur,
Je n'ai jamais trop été du goût de mettre des vers au bas d'un portrait; cependant, puis que vous voulez en avoir pour l'Estampe de Pierre le grand, en voicy quatre que vous me demandez:
Le seul nom de Pierre le grand, Monsieur, vaut assurément mieux que ces quatre vers; mais puisqu'il y est question de son auguste fille, je demande grâce pour eux.
Monsieur de Soltikoff m'a dit qu'il n'avait aucune nouvelle de Mr Puskin, que personne n'en avait eu depuis son départ de Vienne, il est à craindre que dans un voyage il n'ait été pris par les Prussiens; quoi qu'il en soit, je n'ai aucuns matériaux pour le second volume. J'ai déjà eu l'honneur de mander plusieurs fois à vôtre Excellence, qu'il est impossible de faire une histoire tolérable sans un précis des négociations et des guerres; mon âge avance, ma santé est faible, j'ai bien peur de mourir sans avoir achevé vôtre édifice. Ce qui achèverait de me faire mourir avec amertume, ce serait d'ignorer si la digne fille de Pierre le grand, a daigné agréer le monument que j'ai élevé à l'honneur de son Père. L'amour qu'elle a pour sa mémoire me fait espérer qu'elle voudra bien déscendre un moment du haut rang où le ciel l'a placée, pour me faire assurer par vôtre Excellence qu'elle n'est pas mécontente de mon travail; c'est ainsi que nos Rois ont la bonté d'en user, même avec leurs propres sujets. Les Lettres du Roy Stanislas que vous avez eu la bonté de m'envoïer, Monsieur, sont une preuve de l'Etat déplorable où il était alors; je crois que les réponses de L'Empereur Pierre le grand, seraient encor beaucoup plus curieuses. C'est sur de pareilles pièces qu'il est agréable d'écrire L'histoire; mais n'aiant prèsque rien depuis la paix de Pruth, il faut que je reste les bras croisés. Quand il plaira à vôtre Excellence de me mettre la plume à la main, je suis tout prêt.
Je présume, Monsieur, que vous avez daigné écrire au secrétaire d'ambassade en Hollande, pour faire venir le ballot, que j'ai eu l'honneur d'adresser pour vous, à feu Mr le comte de Gollofskin; je me flatte aussi que vous avez reçu les petits paquets que j'ai adressés en droiture à vôtre Excellence par Mr le Duc de Choiseuil, ministre d'Etat en France, et par mr le Comte de Choiseuil, ambassadeur de France à Vienne.
Je finis par vous assurer de tous les vœux que je fais pour vôtre bonheur particulier, et pour la prospérité de vos armes. J'ai L'honneur d'être avec un attachement sincère et respectueux
Monsieur
De Vôtre Excellence
Le très humble et très obéïssant serviteur
Voltaire