au châtau de Tourney par Genève 6 8bre 1759
Monsieur,
Je vous avais déjà fait compliment sur L'heureux succez de vos armes, lorsque j'ai reçu la Lettre dont vôtre Excellence m'a honoré, avec la rélation de la bataille que Mr De Soltikoff a bien voulu me comuniquer.
Vos bontés augmentent tous les jours l'intérêt que je prends à la gloire de L'Impératrice et de l'Empire de Russie. Le terme d'honneur, doit être certainement bien à la mode chez vous, quoi qu'en dise un certain homme qui a mis son honneur à faire bien du mal, et à en dire beaucoup de vôtre auguste Impératrice. Ce n'est pas d'aujourd'hui que j'ai pris part à la gloire de vôtre nation; tous les événements ont justifié ma manière de penser, je vois avec la plus sensible joïe que la digne fille de Pierre le grand perfectionne tout ce que son père a commencé. Le bruit a couru dans nos Alpes que sa santé avait été dérangée; j'en ai ressenti de bien vives allarmes. Nous fesons mille voeux dans mes retraittes pour la durée et la prospérité de son règne.
Le premier Tome de L'histoire de Pierre le grand serait déjà parvenu à Vôtre Excellence si les personnes que j'employe étaient aussi diligentes que je l'ai été. La vie est bien courte, et tout ouvrage est bien long; je consacrerai ce qui me reste de vie à travailler au second volume aussitôt que j'aurai les matériaux nécessaires; il n'y a point d'occupation que me soit plus prétieuse, et si je suis assez heureux pour seconder vos nôbles intentions je n'aurai jamais si bien employé mon temps; mais je regretterai toujours de n'avoir pû voir la ville que Pierre le grand a fondée, et vous, Monsieur, qui faites fleurir les arts et les vertus, dans le plus grand Empire de la terre.
Je serai toute ma vie avec l'attachement le plus respectueux et le plus sincère,
Monsieur
De vôtre Excellence
Le très humble et très obéïssant serviteur
Voltaire