1761-03-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Count Ivan Ivanovich Shuvalov.

Monsieur,

Je reçois dans ce moment par la voye de Vienne la lettre de votre excellence en datte du 26 janvier, la lettre pour mr de Soltikof, et le mémoire sur le Kamshatka dont vous voulez bien m'honorer.
Vous daignez ajouter à vos bontez celle de me dire que vous travaillez à me fournir le canevas du second volume. Je suis tout prest. Je m'arrange pour mettre en œuvre tous vos matériaux malgré celuy que l'histoire d'un législateur, d'un grand homme, irrite si furieusement. Les expressions dont il se sert contre le père, et contre son auguste fille, sont si horribles qu'on n'ose les répéter. J'oublie pour jamais et ces injures, et celuy qui en est coupable. Elles n'ont servi qu'à redoubler mon zèle pour la gloire de Pierre le grand et pour celle de votre valeureuse nation que s. m. L'impératrice rend heureuse, et que votre excellence éclaire et encourage par les bienfaits qu'elle répand et par la protection qu'elle donne aux arts. Touttes les fois que le jeune monsieur de Soltikof me fait l'honneur de venir chez moy je vois en luy de nouvaux progrez et surtout les sentiments de la plus tendre reconnaissance envers vous monsieur qu'il révère et qu'il aime comme son protecteur et comme son père.

Votre excellence doit avoir reçu la petite inscription qu'elle m'avait fait la grâce de me demander. Je la fis sur le champ. Vos ordres m'inspirèrent. Les voicy à peu près les vers, tels qu'il m'en souvient.

Ses loix et ses travaux ont instruit les mortels;
Il les rendit heureux; et sa fille l'imite,
Juppiter, Oziris, vous eûtes des autels
Et c'est luy seul qui les mérite.

Je me flatte monsieur qu'une histoire vraie et autentique fera plus d'effet que tous ces éloges qui ne sont que la bordure du tableau. Ce sont les grandes actions qui louent les grands hommes.

Peutêtre le paquet dans le quel j'avais inséré cette inscription a t'il été perdu. La plus part de nos envois réciproques n'ont pas été si heureux que vos armes. Je vois que votre Excellence n'a reçu encor ny l'eau des Barbades, ny les ballots de livres envoyez à feu M. de Golofskin, ny ceux de Monsieur le duc de Choiseuil, ny ceux de notre ambassadeur à Vienne. J'en ressens une véritable peine. Je regrette surtout les papiers dont vous aviez chargé Mr Puskin.

Je vois par votre lettre monsieur que vous lui aviez confié un présent dont je sens tout le prix, et dont je fais les plus tendres remerciments à votre Excellence. Elle est trop bonne, mes frais sont trop peu de chose, mes peines sont trop bien employées. Un simple portrait de votre auguste impératrice, un de vous Monsieur aurait fait ma récompense la plus chère. Il n'est pas juste qu'il vous en coûte, et que vous paiyez les accidents qui peuvent être arrivez à mr Puskin et à mes ballots. Vous ne savez donc pas que je regarde comme un des plus grands bienfaits le soin dont vous avez daigné me charger. Il fait le charme et l'honneur de ma vieillesse; recevez avec votre bonté ordinaire le tendre et inviolable respect de Voltaire pour vre Excellence.