1762-06-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Count Ivan Ivanovich Shuvalov.

Monsieur,

J'ai reçu par Monsieur le Prince Gallitzin la Lettre du 19/30 avril, dont vous m'honorez.
J'avais déjà eu l'honneur de vous mander plusieurs fois que Mr de Soltikoff était parti pour l'Angleterre, qu'il avait écrit à vôtre excellence, et que je n'avais eu aucune de ses nouvelles.

Je viens d'apprendre dans le moment, que la sœur de L'hôte chez qui il demeurait auprès de Genêve, a reçu des Lettres de lui, dattées de Hambourg, il y a environ deux mois; il lui mandait qu'il allait s'embarquer pour la Russie. Il faut qu'il n'ait demeuré que très peu de temps en Angleterre, et qu'il se soit hâté de revenir auprès de vous. Je suppose qu'à présent il est à Pétersbourg. Vous le trouverez instruit dans prèsque toutes les langues de L'Europe; et je suis persuadé encor, que Vôtre Excellence n'aura pas perdu le fruit de ses bienfaits.

Il n'en est pas de même de Mr Puskin, On prétend qu'il est en prison à Paris pour ses dettes. Je ne regrette point les deux mille ducats qu'il m'apportait, mais je regrette infiniment les médailles qui faisaient une suitte complette, et qui servaient à l'Histoire de Pierre le grand. Je garde la Lettre pour mr de Soltikoff, afin de la lui envoyer, en cas qu'il ne soit pas en Russie, et que je puisse découvrir sa demeure. Mais je me flatte qu'il fait à présent sa cour à Vôtre Excellence, qu'il profite de vos bontés et de vos conseils; et j'aurai L'honneur de vous renvoyer la Lettre, au premier ordre que je recevrai de vous.

Vous avez dû recevoir plusieurs Lettres de moi, Monsieur, par mr de Czernichef, plénipotentiaire à Vienne, mais comme vous ne m'en avez jamais accusé la réception, je vous écris par duplicata. Une Copie passera par Vienne, et l'autre par la poste ordinaire. Vôtre Excellence peut m'adresser les paquets qu'il me destine, par un banquier de Petersbourg, correspondant du Banquier Duval, Citoyen de Genêve. Je crois mème que ce correspondant demeurant à Pétersbourg, s'appelle aussi Duval, et c'est le propre frère du Genevois.

Je vous réïtère, Monsieur, less assurances de l'envie extrême que j'ai de finir l'histoire de Pierre le grand à vôtre satisfaction. Tout malade que je suis, tout surchargé du fardeau des commentaires sur Pierre Corneille, je me livrerai à Pierre le grand. Plût à Dieu que je puisse voir l'architecte dont je ne suis que le masson.

Je serait toute ma vie avec les sentiments les plus respectueux et les plus tendres.

Monsieur

De Vôtre Excellence

Le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire