21e May 1762, aux Délices
Monsieur,
J'ai reçu la Lettre dont vous m'honorez du 17e Mars v: st : Je suppose que toutes celles que je vous ai écrites vous sont parvenues, tant par la voye de la poste ordinaire, que par celle de Mr de Czernicheff.
Vôtre Excellence poura me faire parvenir le paquet qu'elle a la bonté de me faire espérer, par des banquiers qui le feront tenir à des correspondants de Genêve.
J'ai été à la mort, depuis que je n'ai eu l'honneur de vous écrire, et j'ai perdu une partie de ma fortune par le contre-coup de nos malheurs publics, mais j'oublie cette dernière disgrâce, et dès que j'aurai réparé l'autre, en reprenant un peu de santé, je me remettrai avec courage, et avec plaisir, à l'histoire de Pierre le grand.
J'avoue, Monsieur, que je serais bien encouragé, si je pouvais en effet me flatter d'avoir l'honneur de vous voir, et de vous posséder dans mes petites retraittes; il est digne de vous, d'imiter Pierre le grand, en voyageant comme lui. Vous devez bien sentir que vous seriez accueilli par tout comme vous devez l'être. Vôtre voyage serait un triomphe continuel, et on respecterait encor plus vôtre patrie quand on verrait un homme de vôtre mérite, orné des plus belles connaissances, et fait pour réussir dans toutes les cours.
J'aurais souhaitté que vous eussiez pris le parti d'être ambassadeur, celà m'aurait du moins raproché de vôtre Excellence, et tout malade que je suis, j'aurais volé tôt ou tard pour avoir la consolation de vous voir.
Je suis mortifié de n'avoir aucune nouvelle de Mr de Soltikoff depuis son départ; je l'aimais véritablement, et j'avais eu pour lui toutes les attentions qu'il mérite.
Vous ne m'avez point dit, Monsieur, si vous aviez reçu la Lettre que je vous avais adressée pour Mr le grand Maître de l'artillerie. Il est triste d'avoir toujours à craindre que les paquets ne soient perdus. Je crois que le meilleur parti est d'écrire tout simplement par la poste. On doit sçavoir d'ailleurs, que je ne vous parle point d'affaires d'état; on ne fait point la guerre à la Littérature.
Adieu, Monsieur, j'ai L'honneur d'être avec les sentiments les plus respectueux et les plus tendres,b
Votre très humble et très obéisst serviteur
Voltaire