au château de Ferney par Geneve 2 xbre 1760
Monsieur,
Je dois confier à votre prudence et à votre bonté pour moy, que le Roy de Prusse m'a sçu très mauvais gré d'avoir travaillé à l'histoire de Pierre le grand, et à la gloire de votre empire.
Il m'en a écrit dans les termes les plus durs, et sa lettre ménage aussi votre nation que l'historien. Je ne croiais pas choquer ce prince en célébrant un grand homme. Je ne m'attendais pas à l'injustice que j'essuie mais je me flatte que votre auguste impératrice, que la digne fille de Pierre le grand sera aussi contente du monument élevé à son père, que le roy de Prusse en est fâché. Je réitère à votre excellence que je luy ay envoyé plusieurs ballots par M. de Golofkin, ambassadeur à la Haye, par M. le duc de Choiseuil, par m. le comte de Choiseuil, ambassadeur de France à Vienne. J'espère que du moins quelqu'un de ces paquets vous parviendra, et que si s. majesté impériale a un cabinet de livres vous voudrez bien y placer le premier volume en attendant le second.
Voici encor un petit paquet de deux volumes que j'envoie par la route de Vienne. Je me flatte qu'il vous parviendra. Ils sont reliez en maroquin rouge comme tous les autres.
Tout mon chagrin monsieur est de ne pouvoir vous les présenter moy même, il m'est dur de songer que je finirai ma vie sans avoir eu la satisfaction d'assurer votre excellence du tendre respect avec lequel je serai jusqu'au dernier moment son très humble et très obéissant serviteur
Voltaire