Au château de Ferney en Bourgogne, par Genêve, 28e 9bre 1762
Ce que vous m'aprenez, Monsieur, me surprend beaucoup, si pourtant quelque chose dans ce monde doit nous surprendre.
Je vous croiais à l'abri de tout dans le païs des Ardennes, et au milieu des rochers; je m'imaginais que mr le Duc de Bouillon y était absolument le maître, et en état de vous favoriser; vous me paraissiez avoir sa protection, je ne vois pas ce qui a pu vous l'ôter. Si vous m'aviez averti plutôt, j'aurais tâché de vous être utile, il aurait été peut être plus convenable à vos intérêts que vous eussiez accepté le château que je vous offrais dans le voisinage de Genêve, vous y auriez jouï de la plus grande indépendance, et vous auriez eu les débouchés les plus sûrs pour le débit de vôtre journal; mais vôtre dernier naufrage vous a conduit dans un port qui est bien audessus de tout ce que je pouvais vous offrir, vous n'auriez eu chez moi que de la liberté, et vous aurez à Manheim la protection d'un prince aussi éclairé que bienfaisant. Heureusement pour vous, il n'y a dans le palatinat que des Jesuites allemands qui n'entendent pas le français, et qui ne sçavent que boire.
Ne doutez pas que je n'aye L'honneur d'écrire à S: A: E: tout ce que je pense de vous et de vôtre journal. Je n'ai point icy la Tragédie d'Olimpie, je l'ai envoiée à un de mes amis, dans le dessein de la corriger encor. Elle a servi aux amusements de Mgr L'Electeur palatin; elle a même servi aux miens, je l'ai fait jouer sur mon petit théâtre de Ferney, mais ce n'est pas assez de s'amuser, il faut tâcher de bien faire, et celà est prodigieusement difficile. Je suis fâché qu'un autre prince dont vous parlez, vous ait pris pour un Wigh et qu'il ait cassé vos vitres; on s'attendait autrefois qu'il casserait celles de Londres; il parait que les temps sont bien changés, et qu'il l'est encor d'avantage. Les horribles malheurs qu'il a éssuiez, doivent ce me semble consoler les particuliers qui ont à se plaindre de la fortune. Je m'intéresse extrèmement, Monsieur, à tous les chagrins que vous avez éssuiez, et si mon faible suffrage peut contribuer à vôtre félicité à la cour de Manheim, vous pouvez y compter comme sur mon estime et mon attachement.
Vous me ferez plaisir, Monsieur, de me dire quel est L'honnête homme qui aime tant la messe, et si peu la vertu. Il est bon de connaître son monde. Je m'intéresse assez à vous pour souhaitter des détails de toutes les injustices que vous avez éssuiées.