Aux Délices, 23 août 1756
Dites moi donc, madame, vous qui êtes sur les bords du Rhin, si notre chère Marie Thérèse, impératrice-reine, dont la tête me tourne, prépare des efforts réels pour reprendre sa Silésie.
Voilà un beau moment; et si elle le manque, elle n'y reviendra plus. Ne seriez vous pas bien aise de voir deux femmes, deux impératrices, peloter un peu notre grand roi de Prusse, notre Salomon du nord? Pour moi, dans ma douce retraite, au bord de mon lac, je ne sais aucune nouvelle; je n'apprends rien que par les gazettes. Elles me disent qu'on coupe des têtes en Suède; mais elles ne me disent rien de cette reine Ulrique que j'ai vue si belle, pour qui j'ai fait autrefois des vers, et qui, sans vanité, en a fait aussi pour moi. Je suis très fâché qu'elle se soit brouillée si sérieusement avec son parlement. Le nôtre fait, dit on, des remontrances pour une taxe sur les cartes, et brûle des mandements d'évêque. On vous envoie dans votre Alsace un confesseur, un martyr de la constitution, que j'ai vu quelque temps fort amoureux, et dont sa maîtresse était aussi mécontente que ses créanciers. Les saints sont d'étranges gens. Portez vous bien, madame; faites du feu dès le mois de septembre. Traitez le climat du Rhin comme je traite celui du lac. Vivez avec une amie charmante. Souvenez vous quelquefois de moi. Madame Denis et moi nous vous présentons nos respects. Il est triste pour nous que ce soit de si loin.
V.