22e xbre 1766 à Ferney
L'amitié que vous me témoignâtes, Monsieur, dans vôtre séjour à Ferney, et les sentiments que vous m'inspirâtes, me mettent en droit de me plaindre à vous de Mr Dorat.
Il m'a confondu d'une manière bien désagréable avec Jean Jaques, et il a trop oublié que l'ingratitude de ce malheureux envers mr Hume son bienfaicteur, et son infâme conduite envers moi, sont des choses très essentielles qui blessent la société, et dans lesquelles le seul agresseur a tort. Ce n'est pas là un objet de plaisanterie. Ce malheureux m'a calomnié pendant un an auprès de mr le Prince de Conty et de made la Duchesse de Luxembourg. Il a eu la basse hipocrisie de signer entre les mains d'un cuistre à Neufchatel qu'il écrivait contre mr Helvetius, l'un de ses bienfaicteurs; et il accusait mr Helvétius d'un matérialisme grossier. Il m'a de même accusé presque juridiquement; il a insulté tous ceux qui l'ont nouri.
Encor une fois, Monsieur, il n'est point question icy de ses mauvais livres et des querelles de Littérature, il s'agit des procédés les plus lâches et les plus coupables. Mr Le Duc De Choiseuil et tous les ministres savent assez quelle est la conduite punissable de cet homme. C'est tout ce que je puis vous dire; et je vous suplie de le dire à Mr D'Orat, dont vous savez que je ne vous ai jamais parlé qu'avec la plus grande estime.
J'ay l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois Monsieur votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire