1739-01-16, de Anne Antoinette Françoise de Champbonin à Nicolas Claude Thieriot.

Les résolutions pleines d'une fermeté respectable que prennent monsieur le marquis et madame du Chastelet, ma douleur extrême de tout ce que je vois, et l'afliction que mr de Voltaire ne sent que par raport à vous monsieur, me forcent de vous Ecrire.
Le refus que vous avez fait d'instruire madame la marquise du Chastelet si vous aviez Eu la faiblesse d'envoyer au prince royal l'infâme libelle où vous êtes si honteusement loué aux dépens de votre intime amy et d'un amy tel que mr de Voltaire, font un effet icy que vous auriez peine à imaginer et qui me dessespère pour vous. Je vous ay connu à Paris et votre tendresse et mon amitié infinie pour mr de Voltaire m'en avoit inspiré pour vous. Il faut pourtant avouer que je fus bien choquée delors qu'en vous parlant des amitiés de mr de Voltaire pour moy, vous ne me disiez rien de celles qu'il avoit Eu pour vous. Aujourd'huy nous recevons une lettre de madame la présidente de Bernieres qui parle d'un ton bien différent. Elle dit formellement que loin que mr de Voltaire fut nouri et logé par charité chez mr de Bernieres comme L'ose dire un calomniateur si punissable il louoit un logement chez elle pour luy et pour vous, payant sa pension et la vôtre. Elle le dit monsieur et vous laisséz calomnié votre amy et quel amy! un homme qui a hazardé le bonheur de sa vie et qui porte Encore la peine de ces malheureuses lettres philosophiques qui n'ont étées imprimées qu'à votre profit et dont vous avez reçu deux cents guinées, et c'est vous monsieur qui laissé dire que mr de Voltaire est accusé de rapines. Ah monsieur que votre silence dans cette occasion Est différent de ce que j'entends et de ce que je vois Ecrire aux amis de mr de Voltaire! que la justice qu'ils rendent à sa générosité et à son amitié vous rendent coupable et qu'il Est honteux j'ose vous le dire que mr de Voltaire trouve dans d'autres amis ce qu'il devroit trouver En vous par dessus tous les autres! que vous êtes loin de monsieur, de madame du Chastellet, de madame de Bernieres &cc. dans le nombre des quels je mets ma plus grande gloire d'être. Vous rougiriez bien si vous Entendiez nos discours et si vous voyez les lettres qu'on reçoit icy.

Vous savez bien qu'il n'i a que l'amitié qui touche mr de Voltaire. Il n'est affligé que de votre silence. Je ne sais si sa santé luy permettra de vous Ecrire.

Il vouloit aller à Paris, j'yrai plus tôt moy même, j'ay prit tous les liens dont il a voulu nous honnorer par le mariage de madame sa niesse. Je vous En ay parlé avec la plus vive reconnoissance, ce sont là des traits de générosité dans mr de Voltaire sans exemple; que me devoit il? il me connoissoit à peine et je n'ay jamais rien fait pour luy, cependant sa singulière bonté le porte à combler de biens une famille Entière, par ce qu'il la trouve mal traitée de la fortune. Il Est vray que le mariage n'a pas Eu lieu, mais que n'a t'il pas fait pour réparer ce qu'une chose si inespérée eût aporté à mon fils? Je dois publier à jamais que de ce moment j'ay compté mes jours par les obligations que j'ay à mr de Voltaire, mais jugéz de mon cœur, son amitié m'est mille fois plus chère et plus respectable, et il n'aura point de deffenseur plus Zélés que mon mary, mon fils, et moy, nous irons montrer à tout le monde la vérité, la probité, la générosité qu'on insulte si indignement. Rien n'égale notre douleur et notre colère, il faut aprendre aux ingrats à rougir et à tremblé. Je suis outrée après les anciennes lettres touchant Desfontaines que j'ay vu de vous, que vous puissiez vous taire, elles sont plus fortes que tout ce que vous pouriez jamais dire. Mon mary, mon fils, et moy les avons lues et signées au bas du procès verbal. Vous voyez que mr de Voltaire n'a, et ne peut avoir aucun besoin de vous, mais vous monsieur vous avez besoin de ne point trahir votre honneur et votre amy. Madame du Chastellet est pénétré du plus vif resentiment et mr de V. ne s'occupe qu'à l'apaiser. Voylà l'ami que vous êtes accusé publicquement de trahir; croyez moy monsieur Encore une fois madame du Chastellet Est la femme de l'Europe la plus respectable et la plus ferme, et votre conduite dans cette affaire l'a outrée; il n'y a icy que mr de Voltaire qui prenne votre parti. Nous luy avons tout caché, tant que nous avons pu. Mais Enfin il faut bien que les choses Eclatent. Nous ménageons sa douleur, nous ne luy disons pas tout, et je ne vous dis pas non plus monsieur la moitié de ce que je pense. Tout cela Est plus important que vous ne penséz.

N'imputéz, monsieur, qu'à mon extrême douleur et la plus vive sensibilité cette lettre. Je crois que votre conduite méritera l'estime de madame la marquise du Chastellet et celle avec laquelle je veux être monsieur votre très humble, très obéissante servante.

Chambonin