Mon cher amy à peine nous étions nous quittez qu'on m'a aporté le livre en question.
Madame la marquise du Chastelet y est malheureusement plus reconnaissable que l'abbé Leblanc, car il y est désigné comme un brocanteur, et il me semble que ce n'est pas là son goust. Mais madame du Chastelet y est peinte comme une femme qui donne dans les hautes sciences; et puisqu'elle est la seule qui les cultive en effet, on ne peut pas s'y méprendre. D'ailleurs son portrait vient immédiatement après le mien ce qui vaut autant que de la nommer par son nom.
L'autheur dit que “c'est une folle qui conoit mieux les atomes que sa propre famille, et qui se croit philosophe malgré le désordre de ses passions par ce qu'elle sait confusément des choses inutiles.”
Vous m'avouerez que c'est là une étrange façon de parler d'une femme de la première condition qui est respectée dans l'Europe par ses talents uniques, et qui loin d'abandonner sa famille, a seu procurer à son mary et à son fils des places importantes, a marié sa fille au premier seigneur de Naples, et vient de liquider touttes les dettes de sa maison.
On ne sauroit guères être plus coupable que l'auteur se l'est rendu en déchirant d'une manière si odieuse et si injuste, une dame qu'il ne connoit pas. Vous ignoriez les torts impardonnables de l'autheur quand vous avez imploré pour luy la protection de M. le maréchal de Richelieu. Mais aparemment que M. de Richelieu ne les ignorait pas. Vous ne devez point luy savoir mauvais gré de sa réponse, et de son côté il ne peut que rendre justice à la bonté de votre cœur, et à L'ignorance où vous étiez de la faute pour la quelle vous demandiez grâce.
La maladie de Roseli me fâche plus que tout cela par ce qu'elle vous est plus préjudiciable. Je vous embrasse de tout mon cœur.
V.
ce vendredy [?16 May 1749]
J'ajoute à ma lettre qu'on envoye en Lorraine à me la marquise de Bouflers touttes les nouvelles brochures, et qu'il est bien affreux qu'un mary et un fils lisent de pareilles horreurs, et les voyent dans les mains de tout le monde. Vous sentez avec quelle douleur je fais cette réflexion.