ce 28 [January 1739] au matin
Je vous envoye mon mémoire, tel que je compte Le présenter aux magistrats.
J'en avois envoyé un exemplaire à mr d'Argenson, mais on dit que le littéraire occupoit trop de place. J'ay retranché tout ce qui ne serviroit qu'à justifier mon esprit, et j'ay laissé tout ce qui est nécessaire pour vanger l'honnête homme des attaques d'un scélérat.
Je mande à mr Helvetius que je vous envoye cet écrit; vous pourez le lire avec luy, s'il n'en est pas fatigué. Mais je vous prie de le lire avec l'abbé D'Olivet, qui se conoit très bien à ces sortes d'ouvrages, et aux personnes que vous croirez les plus capables d'en juger. Après cela vous pourez en présenter une copie de ma part à M. de Maurepas. Cela fera honneur à notre amitié dans son esprit. Il m'a écrit; il est très bien disposé. Je suis servi dans cette affaire avec autant de vivacité et de zêle par mes amis que si j'étois à Paris. J'espère que Le plus ancien de tous sera aussi le plus tendre, et qu'il réparera sa négligence, et sa lettre ostensible à me Duch. par la vigilance que donne l'amitié; vous nous avez donné de terribles allarmes quand vous avez fait penser que cette malheureuse lettre, alloit être publique. Compromettre madame du Chastelet dans cette affaire! j'en tremble encor! Ce sont des gens bien peu instruits de l'état des choses, qui ont pu vous conseiller une démarche si condamnable! Pardon, mais j'en suis encore ému. Made du Chastelet vous prie très instament de retirer toutes les copies que vous avez données de cette malheureuse lettre. Pourquoy l'avez vous envoyée au prince royal? qu'y pouvoit il comprendre, s'il n'avoit pas vu le libelle? que vouliez vous luy faire savoir? Vouliez vous luy faire entendre que je suis l'auteur du préservatif, que vous êtes un médiateur, que madame du Chastelet est trop vive, que vous avez oublié votre lettre du 16 aoust 1726? Quel galimatias! quelle conduite! à quoy vous exposez vous? Ne connaissez vous point me du Chastelet et pensez vous que vous puissiez jamais avoir une autre protection qu'elle auprès du prince? Si ce prince qui peut faire votre fortune savoit jamais que sur une lettre où je vous mandois qu'il avoit envoyé exprès un de ses favoris à me du Chastelet, vous récrivîtes: il nous ena envoyé un aussi; si madame du Chastelet dans sa colère l'avoit fait savoir au prince, que seriez vous devenu? Quel démon a pu vous conseiller d'envoyer à s. a. r. cette lettre ostensible dont madame du Chastelet est furieuse? C'est donc un factum que vous écrivez au prince royal contre madame du Chastelet? Voylà ce que vous luy avez fait penser. Au nom de dieu réparez cette conduite intolérable, si vous pouvez! Vous n'avez certainement de party à prendre qu'à être attaché à me du Chastelet.
Un jeune homme à qui je n'ay rendu que de faibles services et à qui je ne crois pas avoir donné en ma vie la valeur de cent écus, m'envoya il y a trois semaines une réponse à l'abbé Desfontaines, et me demanda la permission de l'imprimer. Je Le refusay. La réponse étoit trop forte, et d'ailleurs comme ce jeune homme n'avoit point été cité dans le libelle je ne voulus pas qu'il se mêlât de la querelle. Mais je luy en auray obligation toute ma vie.
Un autre jeune homme à qui j'ay rendu encore de moindres services, s'est proposé de me vanger, et je l'ay refusé encore, c'est le jeune D'Arnaud. Je vous l'adresseray, celuy là. Il viendra vous voir. Je luy ay donné une lettre de recomandation pour mr Helvetius. Il a du mérite et il est malheureux, il doit être protégé.
Or çà voylà qui est fait. Je compte sur vous, mon amitié est la même; mais que votre négligence ne soit point la même. Je vous embrasse aussi tendrement que jamais.
V.