Ce n'est plus à Cirey, mon fils, qu'il faut que vous écriviés à mr de Voltaire
. Il vient de partir pour Bruxelles avec mr et madame la marquise du Chastellet. Vous vous imaginés assés dans quelle douleur son absence nous laisse. Iamais il ne fut d'amy plus tendre et plus respectable. Nous regrettons sensiblement les quatre années qu'il a passées en Champagne. Ce tems heureux où nous avons vescu avec luy, doit vous rapeller comme à nous, mon fils, les marques d'amitié dont il nous a comblés. Elles sont belles pour nous en particulier. Que ie n'aurois pû faire que les mesmes choses, pour nostre fortune, si elles eussent esté en mon pouvoir, et que ne luy devés vous point de reconnoissance! Rien ne l'engageoit à nous donner des marques si singulières d'attachement, et i'espère que vous n'oublirés iamais l'excès de ses bontés. Ce n'est pas assés de les partager avec nous, il faut que vous nous surpassiés en reconnoissance. Aimés le comme votre père. Vous luy devés tous les sentimens dont vous estes capable, et i'en seray plus touché que de ceux que vous avés pour moy. Vostre mère est pénétré de regrets aussy bien que moy; vous connoissés nostre amitié pour luy, et tous deux nous pleurons la douceur qu'il attachoit à la sienne pour nous.
Mr et mde La comtesse de la Neuville, de qui vous me demandés des nouvelles, regrettent aussi infiniment la société de mr de Voltaire. Il part adoré de tout le canton, et nous gémissons tous de son absence. Mr et madame du Chastellet nous flattent de leur retour à Cirey dès que leurs affaires seront finies. Ecrivés bien régulièrement à Bruxelles, et comptés mon fils, sur mon amitié et celle de vostre mère qui vous embrasse.
Champbonin
au Champbonin ce 15 may 1739