à onze heures du soir mercredi [April/May 1748]
Ie suis d'une inquiétude et d'une agitation que v͞s traiteriés d'ostentation si i'entreprenois de v͞s la peindre, ie ne conoissois encore que votre absence et c'en étoit bien assés, mais votre absence jointe à l'inquiétude de votre santé est vn mal que ie n'ai pas la force de suporter; dans vn autre tems i'aurois été affectée d'une scène assés viue que ie viens d'auoir à votre sujet auec mr de Voltaire et qui a fini par la négation totale, et par changer de conuersation.
N͞s n͞s somes quittés fort bien, et i'espère que demain il n'i pensera plus, surtout si v͞s v͞s portés bien, car ie ne puis être maîtresse de moi quand ie suis inquiète de vous. Mais ce qui m'importe dans ce moment cy, ce ne sont ni ses inquiétudes ni les injustices de md de Bouflers, c'est votre fièure, si ie n'en ai pas demain des nouuelles satisfaisantes ie ne sais ce que ie deuiendrai. I'ay vn si grand désir de parler au roy que mon impatience sufiroit seule p͞r m'empêcher de dormir, jugés si ie dormirai étant sans v͞s, et inquiété de v͞s. Mon dieu qu'Antoine est heureux, et que ie voudrois être à sa place, mais qui sera plus heureux que moi si ma confiance dans le roy fait l'effet que i'en espère. Ie suis fâchée que cette confidence ne soit pas vn plus grand sacrifice, qu'elle ne me coutte pas dauantage. V͞s veriés si ie balancerais. Le cheualier de Listenai a bien dû s'aperceuoir à souper combien ie v͞s aimois, ie n'ai parlé qu'à luy. Ie sens que ie l'aime de tout mon coeur non parcequ'il est aimable, mais parcequ'il v͞s aime. Ie n'ai pu parler ce soir à md de Bouflers, ie lui parlerai demain en lui disant que v͞s êtes malade. Ie fais demain l'enfance d'aller à Nanci à 2 heures voir ma vieille maréchalle afin d'être dans la même ville que v͞s. I'enuerai sauoir de vos nouuelles, vous m'écrirés, ie ne partirai que quand i'aurai votre réponse, v͞s m'enuerés Antoine le soir et i'aurai de vos nouuelles 3 fois dans la journée. Ie préuois que v͞s serés saigné mais que deuiendra, que sera votre fièure? Ie crois que le terain où v͞s aués été a fait rentrer l'humeur qui s'étoit jettée sur vos dents, et que c'est cela qui v͞s a causé votre redoublement, mais enfin v͞s aués depuis hier la fièure continue auec des redoublemens, il n'i a point de tête quelque bonne qu'elle soit, qui puisse tenir à cette inquiétude. Mandés moi ce qu'a dit, ce que pense Bagar, faites passer vne riuière dans votre cape, ne mangés point du tout, ne v͞s échauffés point, ne v͞s inquiétés point, ne v͞s affligés point, attendés le succès de ma conuersation auec le roy, et soiés sûr que quoiqu'il puisse arriuer, rien ne me séparera jamais de v͞s et que ie ne ferai pas vn pas qui n'ait p͞r objet de passer ma vie entièrem͞t auec v͞s.