3 9bre 1766
Je reçois votre lettre du 27 mon cher et vertueux ami.
Vous ne me mandez point ce que pense le public de la folie et de l'ingratitude de Jean Jacques. Il semble qu'on ait trouvé de l'éloquence dans son extravagante lettre à m. Hume. Les gens de lettres ont donc aujourd'hui le goût bien faux et bien égaré. Ne savent ils pas que la première loi est de conformer son style à son sujet? C'est le comble de l'impertinence d'affecter de grands mots quand il s'agit de petites choses. La lettre de Rousseau à m. Hume est aussi ridicule que le serait m. Chicaneau, s'il voulait s'expliquer comme Cinna, et comme Auguste. On voit évidemment que ce charlatan en écrivant sa lettre, songe à la rendre publique; l'art y paraît à chaque ligne; il est clair que c'est un ouvrage médité et destiné au public. La rage d'écrire et d'imprimer l'a saisi au point qu'il a cru que le public enchanté de son style lui pardonnerait sa noirceur, et qu'il n'a pas hésité à calomnier son bienfaiteur, dans l'espérance que sa fausse éloquence ferait excuser son infâme procédé.
L'enragé qu'il est, m'a traité beaucoup plus mal encore que m. Hume; il m'a accusé auprès de m. le pce de Conty et de mad. la duchesse de Luxembourg, de l'avoir fait condamner à Genêve, et de l'avoir fait chasser de Suisse. Il le dit en Angleterre à quiconque veut l'entendre; et pourquoi le dit il? parce qu'il veut me rendre odieux. Et pourquoi veut il me rendre odieux? Parce qu'il m'a outragé, parce qu'il m'écrivit il y a plusieurs années des lettres insolentes et absurdes, pour toute réponse à la bonté que j'avais eue de lui offrir une maison de campagne auprès de Genêve.
C'est le plus méchant fou qui ait jamais existé, un singe qui mord ceux qui lui donnent à manger et plus raisonnable et plus humain que lui.
Comme je me trouve impliqué dans ses accusations contre m. Hume j'ai été obligé d'écrire à cet estimable philosophe un détail succinct de mes bontés pour Jean Jacques, et de la singulière ingratitude dont il m'a payé. Je vous en enverrai une copie.
En attendant je vous demande en grâce de faire voir à vos amis ce que je vous écris. M. d'Alembert s'est cru obligé de se justifier de l'accusation intentée contre lui par Jean Jacques d'avoir voulu se moquer de lui. L'accusation que j'essuie depuis près de deux ans est un peu plus sérieuse. Je serais un barbare si j'avais en effet persécuté Rousseau, mais je serais un sot, si je ne prenais pas cette occasion de le confondre, et de faire voir sans réplique qu'il est le plus méchant fou qui ait jamais déshonoré la littérature.
Ce qui m'afflige, c'est que je n'ai aucune nouvelle de Meyrin. Je me porte toujours fort mal. Je vous embrasse tendrement et douloureusement.