1763-01-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Germain Gilles Richard de Ruffey.

En qualité de quinze vingt, je ne vous écrirai point de ma main, mon cher Monsieur; je bénis Dieu des rigueurs de Mr De Colmont le père.
Il s'est trouvé sur le champ un jeune gentilhomme, mon voisin, n'ayant ni père, ni mère, et dont les terres touchent précisément les miennes. Il n'est à la vérité que cornette de Dragons, mais il l'a emporté sur le capitaine, et je fais dans quelques jours le mariage de made Corneille. Je n'ai point d'enfans, et je m'en suis fait; je suis heureux du bonheur des autres, et c'est la consolation de ma vieillesse.

Je souhaitte passionnément que Mr De la Marche rende la sienne heureuse, en finissant pour jamais toute discussion avec Mr son fils. L'un et l'autre perdraient de leur considération à disputer d'avantage. C'est à eux à être arbitres, et non à avoir besoin d'arbitres.

En vous remerciant de l'épigramme sur le cocu du parlement de Toulouse, Je souhaitte que ce soit un des juges des Calas; mais des cornes et des chansons sont une punition trop légère de l'abominable jugement qu'ils ont rendu.

J'espère que dans huit jours, nous obtiendrons la révision au conseil; mille accidents nous ont retardés.

Pour les jesuites, je les trouve des fous, il faut avoir bien peu de raison pour se plaindre de retrouver la liberté avec un justaucorps et une pension, mais l'esprit de corps, et l'esprit de parti seront toujours plus forts que la philosophie; ils ont imprimé une grande déclamation, intitulée apologie générale, qui ne leur fera pas de nouveaux amis; ils y disent tant de bien d'eux, et tant de mal de leurs adversaires, ils sont si fiers dans ce qu'ils appellent leur malheur, ils se regardent comme des gens si considérables et si nécessaires au monde, qu'on serait tenté de les humilier encor d'avantage. Ce n'est pas le tout d'être chassé, il faut encor être modeste.

Je voudrais bien que vôtre parlement se remit un peu à être Perrin Dandin. J'ai une cause à lui mettre Es mains, non pas pour moi, mais pour gens dont on a pris le bien, et qui ne peuvent mais de querelles du parlement avec les Elus.

Adieu Monsieur, mes respects très humbles à madame vôtre femme.a Comptez sur la tendre amitié de v. t. h. ob. str.