1773-08-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Giovanni de Gamerra.

Un vieillard de quatre-vingts ans bien malade vous remercie de votre cornéide; il vous doit le seul plaisir, dont il soit capable, celui d’une lecture agréable.
L’histoire des cornes n’est pas de son âge; il ne peut ni en donner, ni en porter, n’étant point marié; mais on doit toujours aimer les jolis vers et la gaieté jusqu’au tombeau. Il vous trouve bien discret de n’avoir fait qu’un volume sur un sujet qui en pouvait fournir plus de vingt. Vous auriez pu surtout apaiser les dévots en plaçant dans le royaume de Cornouaille les infidèles musulmans, et surtout Mahomet à leur tête; vous savez que la belle Aishé orna la tête du grand prophète de la plus belle paire de cornes qu’on eût jamais vue en Asie, et que Mahomet, au lieu de s’en plaindre, comme aurait fait quelque sot prince chrétien, fit descendre du ciel un chapitre de l’Alcoran pour apprendre aux vrais croyants que le favori du très haut ne pouvait jamais être cocu.

Au reste, monsieur, votre ouvrage montre une parfaite connaissance de l’antiquité et des mœurs modernes. Je ne sais pas ce que pensent les cocus d’Italie; mais je crois que tous ceux qui en font depuis Rome jusqu’à Paris vous ont une grande obligation.

J’ai ’honneur d’être avec une estime infinie

monsieur

votre très humble, obéissant serviteur.

Voltaire