Ferney, 8 décembre 1774
M. de Voltaire est un homme si illustre que tout en est intéressant.
Je vais donc entrer dans des détails qui paraîtroient minutieux en tout autre cas. Sa vie ordinaire est de rester dans son lit jusqu'à midi. Il se lève & reçoit du monde jusqu'à deux heures, ou travaille. Il va se promener en carrosse jusqu'à quatre, dans ses bois ou à la campagne, avec son secrétaire, & presque toujours sans autre compagnie. Il ne dîne point, prend du café ou du chocolat. Il travaille jusqu'à huit, & se montre alors pour souper, quand sa santé le lui permet. On remarque depuis cet automne qu'elle est bien chancelante, qu'elle varie d'un jour à l'autre; qu'il est si foible à certains jours, qu'il est hors d'état de paroître, & que le lendemain on ne s'en aperçoit plus. Il est d'une gaieté charmante. J'ai visité & compté sa bibliothèque: elle est de 6210 volumes. Il y en a beaucoup de médiocres, surtout en fait d'histoire. Il n'y a pas 30 volumes de romans: mais presque tous ces livres sont précieux par les notes dont m. de Voltaire les a chargés. Il a 150000 livres de rentes, dont une grande partie gagnée sur les vaisseaux. La dépense de sa maison se monte à 40000 livres environ: on en met 20000 livres pour le gaspillage, les incidents &c. Restent 90000 livres, qu'il amasse ou place. Il fait bâtir beaucoup de maisons, qu'il loue à deux & demi pour cent. Il commande une maison à son maçon, comme un autre commanderoit une paire de souliers à son cordonnier. Il a grande envie que Ferney devienne considérable: il secourt les habitants & leur fait tout le bien possible. En général c'est lui qui se mêle de toute l'administration extérieure & intérieure de son bien. Mad. Denis n'y a rien à voir & ne s'en mêle aucunement. J'ai visité l'église, & le tombeau de ce philosophe, qui est dans le cimetière attenant l'église, de pierre de taille & simple.