1732-07-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Ouy je vais mon cher Cideville
Vous envoier incessamment
La pièce où j'unis hardiment
Et l'Alcoran et l’évangile
Et just'au corps et doliman
Et la babouche et le bas blanc
Et le plumet et le turban
Comme votre muse facile
Me l'a dit très élégament.
Vous y verrez assurément
Des airs françois, du sentiment
Avec la fierté de l'Asie.
Vous concilierez aisément
Les discours de notre patrie
Avec les mœurs d'un Ottoman.
Car vous avez (et dans la vie
C'est sans doute un grand agrément)
D'un crétien la galanterie,
Et la vigueur d'un musulman.

Mon dieu mon cher Cideville que vous écrivez bien et que j'ay de plaisir de recevoir de vos lettres! Je m'attirerois ce plaisir là plus souvent, mais comment trouver un instant au milieu des maladies, des affaires, et des comédiens, gens plus difficiles à mener que mes Turcs? L'abbé Linant va faire une tragédie.

Macte animo, generose puer, sic itur ad astra.

Pendant ce temps là on joue les cinq sens à l'opera, à la comédie françoise, à la comédie italienne, et à la foire. On ne sauroit trop parler de ces messieurs là à qui vous avez plus d'obligation qu'un autre. Les miens sont plus foibles que jamais, et il ne me reste que du sentiment. Vous savez que le parlement de Paris vient de finir sa comédie et de reprendre ses séances. Voylà mon cher amy touttes les nouvelles des spectacles. J'ai receu par la poste de Hollande un exemplaire de la nouvelle édition de mes ouvrages. Il y a bien des fautes. Ces messieurs surtout ont affecté, quand ils ont vu deux leçons dans quelque passage d'imprimer la plus dangereuse et la plus brûlable. J'empêcheray qu'il n'en entre en France et je prieray Jore de mettre quelques cartons aux exemplaires qu'il a chez luy. Adieu. Formont ne m’écrit point. Je vous embrasse et luy aussi de tout mon cœur.