2a xbre 1767
Commençons par les Empereurs, mon très cher et illustre confrère, et ensuitte nous viendrons aux rois.
Je tiens l'Empereur Justinien un assez méprisable despote, et Belizaire un brave capitaine assez pillard aussi sotement cocu que son maître. Mais pour la Sorbonne, je suis toujours de l'avis de Des Landes, qui assure à la page 299 de son 3e volume, Que c'est le corps le plus méprisable du roiaume.
Pour le Roi de Pologne, c'est tout autre chose. Je le révère, l'estime, et l'aime, comme philosophe, et comme bienfesant. Il est vrai que j'eus l'honneur de recevoir sa réponse au mois de mars, et que j'eus la discrétion de ne lui rien répliquer, parce que je craignis d'ennuier un roi des Sarmates qui me paraît assez embarassé entre un nonce, des Evêques, des Radzivil et des Cracovie. Mais puisqu'il insinue que je dois lui écrire, il aura assurément de mes nouvelles.
Mon cher ami, vive le ministère de France, vive surtout Mr Le Duc De Choiseul qui ne veut pas que les Sorboniqueurs prèchent l'intolérance dans un siècle aussi éclairé. On lime les dents à ces monstres, on rogne leurs griffes, c'est déjà beaucoup. Ils rugiront et on ne les entendra seulement pas. Vôtre victoire est entière, mon cher ami, ces drôles là auraient été plus dangereux que les jésuites si on les avait laissé faire.
Je suis bien affligé que l'édit en faveur des protestants n'ait point passé. Ce n'est pas que les huguenots ne soient aussi fous que les sorboniqueurs, mais pour être fou à lier on n'en est pas moins citoien, et rien ne serait assurément plus sage que de permettre à tout le monde d'être fou à sa manière.
Il me paraît que le public commence à être fou de la musique italienne. Cela me m'empèchera jamais d'aimer passionnément le récitatif de Lully. Les Italiens se moqueront de nous, et nous regarderont comme de mauvais singes. Nous prenons aussi les modes des Anglais, nous n'existons plus par nous mêmes. Le théâtre français est désert comme les prèches de Genêve. La décadence s'annonce de toutes parts. Nous allions nous sauver par la philosophie, mais on veut nous empêcher de penser. Je me flatte pourtant qu'à la fin on pensera, et que le ministère ne sera pas plus méchant envers les pauvres philosophes qu'envers les pauvres huguenots.
Je vous suplie d'embrasser pour moi le petit nombre de sages qui voudra bien se souvenir du vieux solitaire, vôtre tendre ami.