1735-12-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Ces vers servent ils bien le musicien ou non? c'est Dalila qui finit Le troisième acte.

Il m'abandonne, il emporte mon âme.
Partout il est vainqueur.
Le trait que j'ay Lancé, m'enflamme,
Et L'amour tout entier s'empare de mon cœur.
Echo, voix errante,
Légère habitante
De cet heureux séjour,
Echo, monument de L'amour,
Va parler de mes feux au héros qui m'enchante.
Favoris de L'amour, du printemps, et des airs,
Oysaux dont j'entends les concerts
Répondez tous à ma tendresse extrême.
Doux ramage des oysaux
Voix fidèles des échos,
Répétez à jamais, je l'aime — je l'aime.
au quatrième acte
dans Le temple de Venus Astarté
Venus, volupté pure,
Ame de la nature,
Reine des Elémens,
L'univers n'est formé, ne s'anime, et ne dure
Que par tes regards bienfaisants.
Charmant amour Le monde entier t'implore.
On craint les autres dieux, c'est toy seul qu'on adore,
C'est toy seul qui peux rendre heureux.
Sans toy ces dieux puissants ne seroient rien encore,
Ils règnent dans le monde, et tu règnes sur eux.

Essayez cela sur L'oreille fine de Pollion, et si cela vous plaît et à notre amy B. faites le goûter au héros des doubles croches. Je suis toujours d'avis qu'il ne soit plus question des grands cheveux plats de Samson, je gagneray à cela une sottise sacrée de moins, et ce sera encore une scène de récitatif retranchée. Je n'entends pas trop ce qu'on veut dire par une Dalila intéressante. Je veux que ma Dalila chante de baux airs où le goust français soit fondu dans le goust italien. Voylà tout L'intérest que je connois dans un opera. Un bau spectacle bien varié, des fêtes brillantes, baucoup d'airs, peu de récitatif, des actes courts, c'est là ce qui me plait. Une pièce ne peut être véritablement touchante que dans la rue des fossez st Germain. Phaeton, le plus bel opera de Lully, est le moins intéressant.

Je veux que le Samson soit dans un goust nouvau, rien qu'une scène de récitatif à chaque acte, point de confident, point de verbiage. Esce que vous n'êtes pas las de ce chant uniforme et de ces eu perpétuels qui terminent avec une monotonie d'antiphonaire, nos sillabes féminines. C'est un poison froid qui tue notre récitatif. Mandez moy sur cela l'avis de Pollion, et de Bernard.

Ne pouriez vous point savoir ce que Le plagiaire de Metastasio et Le mien a pris de mes Américains? J'aurois peutêtre le temps de changer ce qu'il a imité. Je ferois comme les gens qu'on a volez qui changent les gardes de la serrure.

Si vous voyez mr le bailli de Froulay, et mr le Chevalier Daydie, dites je vous en prie à cette paire de loyaux chevaliers combien je suis reconnaissant de leurs bontez. Mr de Froulay a parlé en vray Bayard à mr le garde des sceaux. Ques ce que c'est donc que cette mauvaise pièce intitulée le tocsin de la cour? On dit que c'est le laquais de la Serre ou de Roy qui en est l'auteur. Mr le garde des sceaux a t'il si peu de goust que de me soupçonner de ces bassesses et de ces misères? Je suis bien las de toutes ces vexations et si je n'avois pas le bonheur de vivre à Cirey dans le sein de la vertu, des baux arts, de l'esprit et de l'amitié, auprès de la personne la plus respectable qui soit au monde, je dénicherois bien vite de France.

V.