13e avril 1765
Votre lettre du 6e avril mon cher frère, ne m'est parvenue que le 12 parce que j'ai manqué d'envoier à Genève.
Elle ne m'aprend point que vous aiez reçu la sentence et l'arrêt contre Sirven, que probablement vous avez eus depuis. Si malheureusement ce paquet avait été arrêté à la poste comme un peu trop gros, je pense que Mr Janel vous le ferait rendre aisément, en lui fesant voir ce qu'il contient. Vous sçaurez que le bruit avait couru à Toulouse que l'arrêt des maîtres des requêtes ne regardait que la forme, et que moi vôtre frère je serais admonêté pour m'être mêlé de cette affaire. Il se trouve aucontraire que c'est moi qui ai l'honneur d'admonêter tout doucement messieurs; mais les meilleurs admonêteurs ont été mr D'Argental et vous.
Si nous pouvons parvenir à faire une seconde correction à ceux qui ont pendu l'ami Sirven et sa femme, nous deviendrons très redoutables.
Ne trouvez vous pas singulier que ce soit du fond des alpes et du quay st Bernard, que partent les flèches qui percent les tuteurs des rois Toulousains?
Je compte enfin à présent sur les bienfaits dont le Roi honorera la pauvre veuve Calas; et alors elle poura en toute sûreté prendre à partie les juges qui auraient dû prévenir ce dernier affront, en indemnisant la famille qu'ils ont persécutée. J'exhorte maintenant cette famille à la prise à partie; ce sera une grande époque, et une grande leçon.
Je pense entièrement comme vous sur la pièce dont vous me parlez; je trouve cet ouvrage aussi mal fait que mal écrit; mais je ne le dis qu'à vous.
Il est bien triste assurément, que Gabriel ait laissé échaper quelques éxemplaires de la destruction; mais je ne crois pas que ce soit cette imprudence qui ait produit les difficultés qu'Archimède éprouve. Il me semble que l'enchanteur Merlin n'aurait jamais pu s'empêcher de présenter le livre à l'éxamen, et n'aurait point hazardé d'être déchu de sa maîtrise. Il me parait que la douane des pensées est beaucoup plus sévère que celle des fermiers généraux; et qu'il est plus aisé de faire passer des étoffes en contrebande que de l'esprit et de la raison. La maxime du père Canaye subsiste toujours, point de raison chez les Welches. Ils sont de toute façon plus Welches que jamais. Il n'y a qu'un très petit nombre de Français; pusilus grex, comme dit l'autre. Cependant ce petit troupeau augmente tous les jours. J'ai vu depuis peu des officiers et des magistrats qui ne sont point du tout Welches, et j'ai béni Dieu. Entretenons le feu sacré. Je vous salue et vous embrasse en esprit et en vérité. Ecr: L'inf: