1777-04-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
Quoi donc c'est cet heureux vainqueur
Et de l'Autriche et de la France,
C'est ce grave Législateur
De qui la sublime éloquence
Parut égale à sa valeur,
C'est le généreux défenseur
De la raison qu'à toutte outrance
La fanatique extravagance
Persécute avec tant d'ardeur,
C'est ce héros mon protecteur
Qui s'est fait dit on l'imprimeur
Des idilles de Deshoulieres!
Seigneur je ne m'attendais guère
De voir Cesar ou Ciceron
Sortir de sa brillante sphère
Pour devenir un Céladon.

Mais il faut que tous les goûts entrent dans vôtre âme universelle. Elle sent mieux que personne qu'il y a dans les ouvrages de madame Deshoulieres quoi qu'un peu faibles des morceaux naturels et même philosophiques qui méritent d'être conservez. Pour Chaulieu il a fait quatre ou cinq pièces dignes de Federic le grand.

Puis que vous protégés les philosophes après leur mort votre majesté les protégera aussi pendant leur vie. La rage des pédants fanatiques en robe longue vient de condamner au bannissement perpétuel un jeune homme nommé de Lile pour avoir fait un livre intitulé la philosophie de la nature. C'est dit on un savant plein d'imagination, beaucoup plus vertueux que hardi. M. Dalembert est je crois instruit de son mérite et de son malheur.

Pour moy si ces cuistres ennemis des rois et des sages me persécutent à quatrevingt trois ans, j'ai ma bière toutte prête en Suisse à une lieue de la France. J'ay quelque ressemblance avec Morival, je fus attaqué il y a un mois d'une espèce d'apoplexie dont les suittes me tourmentent plus que les fanatiques ne me tourmenteront. J'emploierai si je puis mes derniers moments à rendre exécrables les lâches assassins juridiques de Morival Destalondes, du chevalier de la Bare, du général Lalli, de la maréchale d'Ancre, et de tant d'autres.

Tout ce que votre majesté daigne me dire sur notre gouvernement et sur nos finances est bien vrai. C'est à Neuton à parler des mathématiques, c'est à Federic le grand à parler de gouverner les hommes. Je serais étonné si la France attaquait aujourdui les Anglais sur mer, comme je serais très surpris si quelque puissance ou impuissance osait attaquer votre majesté sans avoir discipliné ses trouppes pendant vingt années.

Daignez sire me conserver vos bontez jusqu'à mon dernier moment.