1747-04-12, de Nicolas Louis Bourgeois à Voltaire [François Marie Arouet].
Des bords où le père du jour
Répand la plus vive lumière,
De ce riche et brûlant séjour
J'écris à l'illustre Voltaire:
Fasse le Ciel que dans cent ans
Toujours chéri des Neuf pucelles,
Il se montre aussi digne d'Elles
Qu'il l'est dans son plus beau printems!

Que dirés-vous, Monsieur, en recevant de moi une lettre datée de près de deux mille lieües? Je m'imagine être témoin de Votre surprise. Suspendez-la un moment, s'il Vous plaît, pour entendre le récit de mon sort.

Pourquoi rougir des fautes du Destin?
Depuis long-tems en butte à son Caprice
Je n'ai jamais, grâce à son injustice,
Pû me fixer dans un état certain.
Ne Croyez pas que ce soit inconstance;
Je me défends de cet affreux travers
Si naturel et si commun en France,
Qu'on nous reproche au bout de L'Univers.
Mais la fortune, à force de revers,
En m'accablant de son indifférence,
M'a plusieurs fois fait traverser les Mers.

C'est encore elle, Monsieur, qui m'arrachant à la douceur du repos que je goûtois au milieu de mon Cabinet, parmi mes Livres, m'a contraint de repasser dans un pays auquel je croyois avoir renoncé pour le reste de ma vie.

La guerre, ce fléau que les Dieux en Courroux
Ne semblent lâcher sur la terre
Que pour faire sentir leur empire sur nous,
Et qui leur tient lieu de tonnerre,
Aux malheureux américains
Est le présent le plus funeste
Que leur fasse jamais la Colère céleste;
Ils ont besoin de jours paisibles et sereins.
Tous ceux qui jouissoient en France,
A la faveur d'une opulence
Acquise par de longs travaux
Des charmes infinis de Vivre avec aisance,
N'en font que trop, hélas! la triste expérience.
J'ai ressenti les mêmes Maux:
Le fier Mars, tarissant La source
Des secours que Plutus vouloit bien nous fournir,
Ne nous laissoit plus de ressource;
Confus, désespérés, il a fallu partir.

Je me flate que ce ne sera pas pour long-tems. Mes affaires bientôt terminées dans l'Amérique me permettront de retourner en peu reprendre des occupations chères à mon Cœur. Vous penserez peut-être Monsieur, que Cela ne m'excuse point. J'aurois dû sans doute Vous donner avis de mon départ, accuser la réception du paquet que vous m'aviez fait adresser: C'est à quoi je n'aurois eu garde de manquer si j'avois été à La Rochelle, lorsqu'il y est parvenu. Mais j'étois à Bordeaux depuis plus d'un mois, où, par parenthèse, je me trouvai d'un Dîner où Votre santé fut buë dans la meilleure Compagnie qu'on puisse réunir en Province.

Chez un Célèbre Magistrat,
Homme d'esprit, sçavant en plus d'une matière,
Qui doit être connu de monsieur de Voltaire,
Et L'être même avec éclat;
Portant le nom de son Confrère;
Enfin, pour le dire en un mot,
Monsieur le Président Barbot,
Des Beaux-Esprits gascons l'illustre secrétaire:
Cet homme vraiment respecté,
Qui de tout point est respectable,
Avoit ce jour-là profité
D'une occasion introuvable;
Passez-moi ce mot détestable
En faveur de la Vérité.
Nous nous trouvâmes à sa table
Cinq convives, Enfans de Messire Apollon,
Hors moi qui ne dois point me flater de ce nom,
l'historien, et qui n'en comportera point d'une moindre espèce.

Si j'avois eu le malheur d'être pris, je m'étois bien proposé, Monsieur, de me renommer de Vous au milieu d'une Nation polie et sçavante à laquelle Vous tenés par des Connoissances du premier ordre.

Je sçai combien le Grand Voltaire,
Grâces à ses heureux travaux,
Est connu des Anglois, et de toute la terre;
Avantage inoüi, que n'ont point ses Rivaux!

J'espère, Monsieur, que l'absence ne changera rien dans Vos sentimens pour moi, ni aux bontés que Vous m'avés témoignées. Hélas, je suis assez à plaindre! J'ai laissé à La Rochelle ma femme, à qui Vous pourrés continuer d'envoyer les riches productions que vous mettrés au jour, sur lesquelles Vous sçavés la promesse que Vous m'avés faite. Je Vous en supplie de nouveau, Monsieur, s'il est nécessaire. Ce sera toujours la même adresse. Plaise au Ciel! que mes affaires encore plûtôt terminées que je ne le souhaite, me mettent bientôt en état d'aller Vous Voir et faire éclater à Vos yeux les sentimens d'estime, de Vénération, et de Respect, avec lesquels j'ai l'honneur d'être,

Monsieur,

Votre très-humble et très -obéissant serviteur

Bourgeois avt