Monsieur,
Un renversement de fortune, joint à des persécutions cruelles, m'a conduit loin de mes foyers, et me laisse fort incertain de ce que deviendra mon sort.
Je suis ici dans un azile consacré aux Lettres et à la Philosophie. Je passe les vacances chez Monsieur Du Paty, avocat général du Parlement. Il a entendu des vers de ma façon, qu'il a jugés dignes de vous être envoyés. Quoiqu'ils soient fort loin de me paraître aussi bien qu'il veut les juger, je me hazarde à vous les adresser.
On n'a pas voulu m'en permettre l'impression En France, non plus que de mes autres Ecrits, quoique très modérés. Le désir de trouver des presses plus libres m'avait fait songer à une Retraite dans la partie de l'Europe que vous avez rendue si célèbre et si intéressante. Je me serais félicité d'être enfin à portée de voir.
Ce Ferney, que le Ciel m'a toujours envié. J'ai écrit à Mr Vernes de Genève, pour l'engager à sonder quelques Libraires de sa ville. Leur Réponse n'est pas très encourageante, et je ne suis guères plus avancé qu'auparavant. Cette incertitude me désespère moins par la rigueur de ma situation, que par le regret que j'ai de trouver toujours entre mes vœux et le Temple du génie et de la Raison des obstacles insurmontables.
Je vous supplie de lire mes vers, de m'en dire votre avis, et de plaindre leur auteur, qui vous a voué pour la vie le plus respectueux attachement. C'est avec ce sentiment que j'ai l'honneur d'être,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur
François de Neufchateau docteur en droit, des académies de Lyon, Dijon, Mslles
à Bordeaux, chez Monsieur Du Paty, avt gl du Plmtce 12 8bre 1777
P. S. Monsieur Du Paty me charge de vous présenter ses hommages et de le rappeller à votre souvenir. Il y a quelques vers dans ma pièce dont il est surtout très content. Vous les devinerez.