à Charlottenbourg, ce 12 de juin 1740
Vous voyez, mon cher ami, que le changement du sort ne m'a pas tout à fait guéri de la métromanie, et que peut-être je n'en guérirai jamais. J'estime trop l'art d'Horace et de Voltaire pour y renoncer; et je suis du sentiment que chaque chose de la vie a son temps.
J'avais commencé une épître sur les abus de la mode et de la coutume, lors même que la coutume de primogéniture m'obligeait de monter sur le trône et de quitter mon épître pour quelque temps. J'aurais volontiers changé mon épître en satire contre cette même mode, si je ne m'étais souvenu que la satire doit être bannie de la bouche des princes.
Enfin, mon cher Voltaire, je flotte entre vingt occupations, et je ne déplore que la brièveté des jours, qui me paraissent trop courts de vingt-quatre heures.
Je vous avoue que la vie d'un homme qui n'existe que pour réfléchir, et pour lui même, me semble infiniment préférable à la vie d'un homme dont l'unique occupation doit être de faire le bonheur des autres.
Vos vers sont charmants. Je n'en dirai rien et je ne les loue pas, car ils sont trop flatteurs.
Enfin, mon cher Voltaire, ne vous refusez pas plus longtemps à l'empressement que j'ai de vous voir. Faites en ma faveur tout ce que vous croyez que votre humanité comporte. J'irai à la fin d'août à Wesel, et peut-être plus loin. Promettez moi de me joindre, car je ne saurais vivre heureux ni mourir tranquille sans vous avoir embrassé. Adieu.
Federic
Mille compliments à la marquise. Je travaille des deux mains, d'un côté à l'armée, de l'autre au peuple et aux beaux arts.