à Charlottenbourg, ce 6de juin 1740
Mon cher ami, mon sort est changé, et j'ai assisté aux derniers moments d'un roi, à son agonie, à sa mort.
En parvenant à la royauté, je n'avais pas besoin assurément de cette leçon pour être dégoûté de la vanité et des grandeurs humaines.
J'avais projeté un petit ouvrage de métaphysique; il s'est changé en mes mains en un ouvrage de politique. Je croyais jouter avec l'aimable Voltaire, et il me faut escrimer avec le vieux Machiavel mitré! Enfin, mon cher Voltaire, nous ne sommes point maîtres de notre sort. Le tourbillon des événements nous entraîne, et il faut se laisser entraîner. Ne voyez en moi, je vous prie, qu'un citoyen zélé, un philosophe un peu sceptique, mais un ami véritablement fidèle. Pour dieu, ne m'écrivez qu'en homme, et méprisez avec moi les titres, les noms et l'éclat extérieur.
Jusqu'à présent il me reste à peine le temps de me reconnaître; j'ai des occupations infinies et je m'en donne encore de surplus; mais, malgré tout ce travail, il me reste toujours du temps assez pour admirer vos ouvrages, et pour puiser chez vous et des instructions et des délassements.
Assurez la marquise de mon estime et que je l'admire autant que ses vastes connaissances et la rare capacité de son esprit le méritent.
Adieu, mon cher Voltaire; si je vis, je vous verrai, et cela encore cette année. Aimez moi toujours, et soyez toujours sincère avec votre ami
Federic