De Bellefosse ce 3 juillet 1738
Vous ne me faites plus la grâce de m'écrire, mde, et depuis un temps infini je n'ay reçu ni vers ny prose de mr. de Voltaire. Neuton a donc changé La face de L'Univers; on ne voit plus que Prismes, que [. . .] que Récipients, on [. . .] que de Parallaxes, de Sinus, de Tangentes, dans ces lieux mesme où [. . .] Thalie, où dansoit Terpsicore, où Polhimnie et Melpomene déclamèrent les vers Les plus sublimes et les plus touchans. Mais malgré tout ce que Neuton peut démontrer à mon Esprit sur l'attraction, j'en [. . .] plus volontiers ce qu'en persuade [. . .] mon coeur de bien plus grands [. . .] .
Enfin, mde, j'ay parcouru le Liure admirable et singulier de nostre illustre ami; j'ay entrevû des vérités, mais je suis son aueugle né de Chiselden; La Lumière au premier moment n'a fait que m'ébloüir.
Si j'ay saisi un certain respect meslé d'efroy en visitant tous les détours obscurs et mistérieux de ce vaste Temple Les beaux Vers du frontispice, Les tendres hiéroglifes meslés aux Théoresmes, des groupes d'arts et d'amours badinants auec des sphères et des Téléscopes m'ont bien rassuré. J'ay pensé que La curiosité et la gloire de découvrir des terres inconnües pouvoit faire passer Les mers à d'honnestes gens; mais que des voyageurs aimables et délicats comme vous dégoûtés bientost de l'intemperie [et] de la sécheresse du climat reviendroient avec joye dans leur patrie, Le pays de l'imagination, de l'enjoument et des grâces.