[c. 12 March 1765]
O mon maître! quoi vous daignez me prévenir et prendre part aux succès dont je ne vous ai pas encore fait hommage?
Est ce à vous que la gloire environne de vous apercevoir si quelqu'un de ses rayons se sont égarés vers moi? Souffrez que je vous reporte tous les suffrages, tous les applaudissements dont vous m'honorez. Je vous les dois, et vous seul m'avez fait ce que je suis. Vos ouvrages m'ont servi de leçons, et c'est dans ces sources de génie, que j'ai puisé quelques traits de feu dont on veut bien me tenir compte. Si vous n'eussiez peint avec tant de force l'âme de Zamti et de Zopire, ou celle des deux Brutus, ma faible main eût elle pu crayonner les héros de Calais? Croyez, mr, que plus je ferai de progrès dans mon art, plus je sentirai la prodigieuse supériorité de votre génie. Semblable à ce voyageur qui ne voit se développer la grandeur d'un superbe monument qu'à mesure qu'il en approche.
On dit que nous avons de jeunes auteurs très vains, très glorieux de leurs talents. Ils n'ont donc jamais réfléchi sur les vôtres? Qu'ils relisent sans cesse vos ouvrages, c'est le meilleur antidote que nous puissions prendre contre la vanité. Le moucheron peut il s'admirer quand il lève les yeux vers l'aigle?
Je compte vous envoyer incessamment le Siège de Calais imprimé. Si vous n'imitez l'excessive indulgence du public, vous serez forcé de convenir que je ne la mérite guère.
Quant à l'homme que vous souhaitez de voir mon ennemi, je serais bien honteux s'il ne me jugeait pas digne de sa colère, mais comme je suis en train d'être heureux, j'espère qu'il se souviendra que je vous aime, et qu'il me traitera en conséquence.
J'ai l'honneur d'être avec l'admiration la plus profonde, et le zèle le plus passionné &c.