1764-02-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Voici ce que je dis d'abord à mes anges sur leur lettre du 23 février.
Je les remercie du fond de mon cœur de toutes leurs bontés. Je leur envoie une lettre de m. le premier président de Dijon, qui fera connaître à m. le duc de Praslin qu'il peut en toute sûreté protéger les mécréants contre les prêtres.

J'ajoute à propos de la gazette littéraire que je pourrai rendre de plus prompts services en italien qu'en anglais, quand les choses seront en train. La raison en est que les Alpes sont plus près de l'Italie que de l'Angleterre. Mais il me semble que je ne dois établir aucune correspondance, ni faire venir les livres nouveaux d'Italie, sans un ordre exprès de m. le duc de Praslin. Je le servirai tant que l'âme me battra dans le corps, et que j'aurai un reste de visière. Et quand je serai aveugle tout à fait, je dirai buona notte.

Mes anges, que servirait de vivre? est fort bien, mais trouvez moi une rime à ivre.

Pour Olympie, il y a du malheur, il y a de la fatalité dans mon fait. Je suis avec elle comme m. de Chimene avec madelle Clairon; vous savez qu'en trois rendez-vous il perdit partie, revanche et le tout. Il arrive à mon imagination le même désastre qu'essuya sa tendresse. Mais j'aime bien les roués! Je suis fâché à présent de n'avoir pas joué un tour; c'était de faire attendre des changements pour pâques, et en attendant on aurait pu donner les roués. Mais n'en parlons plus, il faut se soumettre à sa destinée.

Il y a du malheur cette année sur les tragédies, et vous m'en avez envoyé une preuve.

Voulez vous bien permettre que je vous adresse ma réponse à mr Saurin. Vous avez dû recevoir force rogatons. J'y joins une lettre ostensible que je vous écris pour être montrée à m. le duc de Duras; je crois que cela vaut mieux que de lui écrire en droiture.

Respect et tendresse à mes anges.