à Ferney 18e auguste 1767
Je doute beaucoup, Monsieur, que le sr La Beaumelle soit allé à Paris faire des siennes, car je sais qu'il avait ordre de rester où il est; et mr De Gudane, commandant du païs de Foix, l'a menacé de la part du Roi des châtiments les plus sévères.
C'est ce que Mr Le comte de St Florentin m'a fait l'honneur de me mander. Ce La Beaumelle est un étrange homme. Je l'avais tiré à Berlin de la misère. Une veuve plus charitable que moi l'a mis à son aise en l'épousant; cette veuve est malheureusement la fille de mr De La Vaysse, célèbre avocat de Toulouse, dont le fils fut mis aux fers avec les Calas, et dont je pris le parti si hautement et avec tant de chaleur. Il est très triste pour moi que le gendre d'un homme que j'estime et que j'ai servi soit si criminel et si méprisable. Mais si d'une main on soutient les innocents oprimés, on doit de l'autre écraser les calomniateurs. Point de quartier aux méchants, et point d'indifférence pour la cause des gens de bien; voilà le devoir d'un homme qui pense avec fermeté.
Je vois qu'il y a encor bien de la fermentation dans les esprits en Languedoc. Il me parait qu'il y en a d'avantage en Guienne. Vous savez que les protestants y sont accusés d'avoir voulu assassiner un curé, qu'il y a du monde en prison, et que l'affaire n'est pas encor éclaircie. Mr le maréchal de Richelieu à qui j'en ai écrit, me mande que c'est une affaire fort embarassée et fort embarassante. La philosophie perce bien difficilement chez les huguenots et chez les papistes.
Nous avons icy plus de légions que César n'en avait quand il chassa Pompée de Rome; mais Dieu merci elles ne font que du bien dans nôtre malheureux petit païs de Gex. Vous avez dans ce païs inconnu un homme qui vous sera attaché jusqu'au dernier moment de sa vie avec la plus respectueuse tendresse.
V.