1771-02-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Par la sainte vierge, Monseigneur, c’est à vous, c’est à nôtre Doien, c’est à Monsieur le Maréchal de Richelieu à gouverner nôtre académie; mais mon héros ne peut y donner qu’un coup d’œil en passant; il y a quelques affaires un peu plus importantes.
Tout ce que je sais, c’est que je vous demande vôtre protection pour Mr Gaillard, que vous en trouverez très digne, et qui n’est point du tout infecté de ces principes que vous haïssez avec raison.

Je vous prie de remarquer que mr D’Alembert est le seul de nos académiciens qui ait travaillé à l’enciclopédie, et que c’est assurément un homme d’un très rare mérite. Je ne connais guères que Jean Jaques Rousseau à qui on puisse reprocher ces idées d’égalité et d’indépendance, et toutes ces chimères qui ne sont que ridicules. Mais ne craignez pas que je vous demande jamais une place d’académicien pour lui, encor moins pour La Beaumelle qui est fort inférieur à Jean Jaques pour l’esprit et pour les connaissances, et infiniment supérieur en méchanceté et en impudence.

Il me parait qu’il y a bien d’autres places à donner actuellement. Voilà un grand labirinthe dont il sera difficile de sortir. Pour moi qui ne sors guères de mon lit depuis que la neige couvre mes déserts, et qui suis privé à la fois de mes yeux et de mes jambes, je ne vois point les évênements de ce monde du fond de mon tombeau de neiges. J’attends paisiblement les beaux jours, je n’en trouverai que quand je pourai vous faire encor ma cour avant d’achever ma carrière, et je prie Dieu que celle de nôtre doien égale aumoins celle du Doien Fontenelle.

Agréez mon tendre et profond respect.

V.